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Une révolte tunisienne : la légende de Chbayah, bande dessinée de Seif Eddine Nechi et Aymen Mbarek

Éditions Alifbata, 2022, 23 €

 

 


 

 

Fin décembre 1983, appliquant les directives du Fonds monétaire international (FMI), le gouvernement tunisien annonce une hausse du prix des céréales. C’est de cette étincelle que naitront les émeutes du pain, d’abord dans la petite ville de Douz dans la province de Kébili, avant de se généraliser – malgré la répression – à toute la Tunisie en janvier 1984.

C’est cette révolte contre le régime autoritaire de Bourguiba1 et de son Premier ministre Mohamed Mzali, et contre leur politique austéritaire à la botte de l’impérialisme qu’explorent Seif Eddine Nechi et Aymen Mbarek, et plus particulièrement l’une des légendes qui entoure cette révolte populaire : la légende de Chbayah.

Alors que la police cherchait à réprimer dans le sang les émeutiers dans les rues de Tunis, Chbayah (le fantôme) c’est le nom qui sera donné par les révoltés à une radio pirate qui se joue des forces de l’ordre. C’est donc autour de cette radio pirate, qui a bel et bien existé2, que les auteurs développent des personnages et une intrigue poignante. On y voit alors la révolte de 1984, mais aussi d’autres aspects de l’histoire tunisienne contemporaine, notamment le rôle joué par les soldats tunisiens enrôlés sous le drapeau français lors de la Seconde Guerre mondiale.

Cette BD illustre les raisons de la révolte, son caractère politique et son déroulement, mais aussi le véritable rôle des forces de l’ordre et la réaction du Parti socialiste destourien (PSD)3, notamment la manière dont le régime cherchait à présenter les émeutiers comme de simples vandales – le Premier ministre s’exprimant à la télévision le 3 janvier 1984 disait ainsi : « Ceci n’est pas une insurrection. Le laxisme en matière de sécurité a créé un vide dont ont profité des gangsters pour violenter, piller et même tuer plusieurs de nos concitoyens innocents. » On y voit aussi le dénouement de cette révolte : après trois jours d’état d’urgence, Bourguiba recule et annule l’augmentation du prix des céréales.

Cette bande dessinée vaut donc le coup d’œil autant pour le sujet qu’elle aborde comme toile de fond que pour ses qualités graphiques.

Il est bon de se rappeler ces émeutes du pain, dont on fêtera bientôt les 40 ans face à un gouvernement qui n’a en réalité fait que paver la voie aux partis politiques islamistes4 et aux idées réactionnaires aujourd’hui agitées par le président de Kais Saïed contre les migrants subsahariens.

Firelei Lambert

 


 

1 Dirigeant nationaliste de la Tunisie depuis son indépendance.

2 Aziz Maarouf titre par exemple pour Jeune Afrique un article intitulé « Pour qui roule le fantôme » le 18 janvier 1984.

3 Le parti unique et nationaliste d’Habib Bourguiba, auquel succèdera Ben Ali avant qu’il soit renversé lors du printemps arabe.

4 Fragilisé par les émeutes du pain, Mzali cherchera à se rallier les islamistes. Il révoquera ainsi l’interdiction du port du hijab.