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Pour que crève une bonne fois pour toute la Françafrique !

C’est par quelques vagues promesses aux retraités, tout en repoussant aux calendes grecques une transition à un pouvoir civil, que le nouveau pouvoir militaire au Gabon a inauguré son mandat. Il faut bien donner le change face à une situation sociale qui n’a cessé de se dégrader. Les longues files de retraités devant les caisses et les manifestations pour réclamer des pensions qui ne viennent jamais sous prétexte de manque de fonds, étaient monnaie courante. Encore le 4 juillet dernier devant le siège du Premier ministre, à Libreville : « si nous n’avons pas de réponse ça ne nous gênerait pas de pouvoir dormir ici, parce que dans ce mouvement nous avons prévu des nattes et de l’eau » déclarait alors un syndicaliste. La question est d’autant plus sensible que les retraités en question (ceux qui ont au moins un système de pension, bien que défaillant) sont essentiellement issus de la fonction publique, et notamment de l’armée. Mais les retraités, pas plus que la population pauvre en général, n’ont pas d’illusions à se faire. Si l’armée a pris le pouvoir au Gabon, ce n’est ni à cause de la corruption du régime, ni à cause du trucage trop évident de la dernière élection : elle avait réprimé les manifestations après le scrutin truqué de 2016. Mais le régime d’Ali Bongo, dont le général putschiste Oligui Nguema, chef de la garde présidentielle, était le principal protecteur, était à bout de souffle. De quoi nourrir les ambitions du général et de ses acolytes, mais aussi les inciter à prendre les devants face à l’éventualité d’une nouvelle explosion de mécontentement populaire.

Derrière l’instabilité de ces régimes dictatoriaux et corrompus, étroitement liés à l’impérialisme français, à ses Bouygues, Bolloré, Total, Areva-Orano et autres, qui vient de se traduire par cette cascade de coups d’État, il y a, outre les ambitions personnelles de rivaux pour le pouvoir, l’aggravation de la situation sociale dans une Afrique dont la population explose (300 à 400 millions dans les années 1970 au lendemain des indépendances, 1,4 milliard aujourd’hui) : une population de plus en plus urbanisée – employés de bureaux, de mines, d’installations pétrolières ou de quelques industries, et donc plus en mesure de revendiquer – une population de jeunes qui ont été scolarisés avant de garnir pour beaucoup les rangs des diplômés-chômeurs. Des jeunes pour qui le monde n’a plus de secret, ni sa corruption d’ailleurs, qu’on peut voir dénoncée sur les réseaux sociaux. La misère n’en est que plus insupportable, et les dessous des régimes en place comme du pillage de l’Afrique par les trusts des grandes puissances (la France en tête) que plus évidents.

Le premier de ces coups d’État, celui du Mali en août 2020, avait été précédé d’une vague de grèves et manifestations : grèves dans les mines d’or en 2018 pour l’embauche des jeunes de la région, grève de cinq mois dans les chemins de fer en 2019 pour les salaires non payés et contre les licenciements, grèves des enseignants l’année suivante, manifestations pour l’accès à l’eau et à l’électricité, et manifestations au printemps 2020 contre le régime corrompu d’Ibrahim Boubakar Keïta. Et les militaires de se faire applaudir pour avoir renversé celui-ci… en même temps qu’ils mettaient un terme à ces mouvements sociaux à travers l’illusion d’un changement de régime. Leur appel quelques mois tard aux milices Wagner laissait planer quelques nouvelles illusions, du moment qu’on se débarrassait de la présence militaire française : bon vent ! Trois ans plus tard, la mousse semble retombée. Les militaires français ne sont plus là, et tant mieux, même si le monde français des affaires y a encore ses billes. Mais à part ça, nous explique un travailleur malien de retour du pays après ses mois de congés, tout le monde aujourd’hui voit que les mêmes notables ou entrepreneurs locaux, les mêmes responsables corrompus de l’État – de quelques gardes forestiers qui abusent de leur petit pouvoir jusqu’aux hauts fonctionnaires – sont restés en place. L’illusion passée, les problèmes sociaux sont toujours là… de quoi susciter de nouvelles luttes. Tout comme faneront vite les illusions qu’ont soulevées les militaires nigériens, surfant sur le mécontentement social de la population confrontée à la misère et aux conditions déplorables, pour les travailleurs comme pour la population environnante, régnant dans les sites d’extraction d’uranium et d’or du pays.

Même le Tchad des Déby père et fils, dont la France a cherché à faire son principal gendarme dans la région, a connu des mois de grève à l’hiver 2018-2019 sous Idriss Déby puis de grandes manifestions en 2021 contre le coup de force de son fils pour s’arroger sa succession. Quant au Sénégal, ce modèle de démocratie, selon les chantres de la Françafrique, dans lequel le président Macky Sall vient de mettre en tôle son principal opposant, le régime a essuyé ces dernières années de nombreuses manifestations, contre la répression des opposants aussi bien que contre cette mainmise sur l’économie par la Banque de France que représente le franc CFA. De même au Soudan en 2019 – hors du pré carré français puisque dans une ancienne colonie britannique – c’était pour mettre fin à l’une des plus profondes révoltes sociales que les militaires putschistes (deux généraux rivaux faisant momentanément alliance) avaient renversé le dictateur Omar el-Bechir. Ils promettaient alors une transition civile, mais… pour plus tard, tout en s’empressant de mettre fin aux manifestations par une répression sanglante.

Oui l’Afrique bouge. Et elle ne bouge pas qu’à l’occasion de ces coups d’État militaires. Et quand on nous parle, pour justifier les opérations militaires sur le continent (celles de l’armée française toujours, mais aussi depuis quelques années la réimplantation de bases militaires américaines, dont la principale au Niger) du danger du terrorisme, de ces bandes armées qui sillonnent le Sahel, on oublie de dire que c’est la misère dans ce continent, si riche en ressources minières, qui est la principale cause de leur existence.

La Françafrique vacille. Même si ce sont pour l’instant les militaires (des généraux souvent formés dans les écoles d’officiers des grandes puissances, France, Royaume-Uni ou USA, pour maintenir l’ordre social dans leur pays) qui en profitent pour satisfaire leur propre fringale de pouvoir et marchander demain leurs services et les richesses de leurs pays aux mêmes grands trusts miniers ou pétrolier ou à d’autres (tant pis pour Total ou Areva-Orano !). Mais les travailleurs surexploités d’Afrique qui font grève, les manifestants qui se rassemblent ou coupent une route pour réclamer logement, eau ou électricité, les jeunes qui s’en prennent à une ambassade de France, ou conspuent leurs propres dirigeants, sont pour tous les exploiteurs et grandes compagnies qui bâtissent leur fortune sur les richesses de l’Afrique un bien plus grand danger que ces militaires qui profitent des crises pour s’alterner au pouvoir. Et ils sont l’avenir !

Olivier Belin

 

 

(Article paru dans Révolutionnaires numéro 5, septembre 2023)