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Au Service de l’art

Les invisibles de l’industrie culturelle se font entendre cet été. Une pièce attendue, Les Émigrants, a dû être annulée devant le refus de l’équipe technique de supporter la tyrannie de son célèbre metteur en scène Kristian Lupa. À Hollywood, les acteurs de seconds rôles, rejoignant les scénaristes, ont fait voir par leur grève que derrière les stars il existe une voie lactée de professionnels précaires et mal rémunérés. Services, une création de la compagnie « Quai no 7 » tombait donc à pic pour mettre en lumière la condition sociale de ces invisibles sans lesquels « il n’y a pas de pièce ».

La compagnie réinterprète Les Bonnes de Jean Genet, dans laquelle deux domestiques haïssant leur maîtresse endossent, en l’absence de « Madame », son costume, et se vengent symboliquement des humiliations qu’elles subissent. C’est la représentation de cette pièce que l’équipe technique prépare devant les yeux du spectateur. Seulement il apparaît progressivement que « Madame » n’est pas la maîtresse de maison mais la tyrannique metteuse en scène à laquelle l’équipe technique obéit.

Le travail habituellement caché est porté à la scène. Un travail de l’ombre, effectué par un personnel qui ne compte ni ses heures, ni ses courbatures. Services montre des corps au travail, faisant de l’effort salarié – « pousser, tirer, soulever » – des chansons et des chorégraphies. Les comédiennes, parmi lesquelles se trouvent deux techniciennes qui manipulent sur scène leurs créations sonores et lumineuses, nous entraînent dans une jouissante libération. De leur aliénation, elles produisent un spectacle bien différent de celui dont « Madame » tire tous les éloges et qui ne se jouera finalement jamais.

Les spectateurs sont confrontés non seulement à la rudesse du travail, mais aussi aux tensions entre les salariées elles-mêmes. Pat, la technicienne en chef est prise en étau entre les collègues dont elle partage la condition et les exigences de « Madame » qui lui demande de veiller au grain. C’est le management capitaliste, irriguant jusqu’au monde du spectacle, qui est ici pointé. Les techniciennes se sentent tenues de protéger leur petite place – si peu enviable, mais une place quand même… au détriment des autres. L’imitation bouffonne de la metteuse en scène par l’une des protagonistes se termine sur ces mots : « On fait les malines ici, mais quand Madame s’en prend à l’une d’entre nous, les autres se taisent. » Les larmes coulent à travers le masque du clown.

L’écriture concrète et incisive laisse toute sa place à la rêverie. On voit se dessiner des univers picturaux, sonores et gestuels qui appartiennent en particulier à chacun des personnages. En l’absence de « Madame », la créativité exulte, produisant un objet unique, fruit d’un travail collectif enfin débarrassé des exigences tyranniques de l’artiste, créateur soi-disant unique et incontesté. Services est un joyeux refus.

Dates de tournée à surveiller !

Mona Netcha, Louis Dracon