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Comités de grève, coordinations : What’s new ?

(Article de janvier 2020, publié dans Convergences révolutionnaires)

Une grève est une situation exceptionnelle, un temps de guerre de classe, qui tranche avec les temps de paix où les directions syndicales marchandent la force de travail avec les patrons – en la soldant allégrement depuis des décennies ! Dans une grève les syndiqués et les non syndiqués qui agissent quotidiennement au coude à coude, doivent assumer collectivement leurs responsabilités : se réunir en assemblées générales, poumon et parlement des grévistes ; mais aussi se donner un organe exécutif, ouvert à toutes et tous, élu devant l’AG dont il prépare les discussions et exécute les décisions.

Dans cette grève de la SNCF et de la RATP qui a démarré le 5 décembre, des comités de grève ont éclos dans un certain nombre de gares parisiennes et de régions du côté de la SNCF, de dépôts et attachements du côté de la RATP, sous l’impulsion de militants révolutionnaires, de Lutte ouvrière comme de courants du NPA, dont le nôtre [l’Étincelle]. Pour notre part, nous avons pris l’initiative de comités de grève dans les gares Saint-Lazare, gare de l’Est et d’Austerlitz (en région parisienne), à Strasbourg et à Lille. Il y en a eu d’autres, et ces comités ont joué leur rôle d’organisateurs locaux de la grève. Ils ont en particulier encouragé les cheminots grévistes à se tourner vers des entreprises du privé pour tenter de les rallier à la lutte, ils ont contribué à ce que la grève vive pendant la période des fêtes où elle avait été lâchée par les directions syndicales. Chez les cheminots en région parisienne, l’obstacle majeur a certainement été, face à des taux de grévistes rarement atteints, la faiblesse numérique des assemblées générales. Ici ou là, elle a été compensée (voire masquée) par la participation aux AG et en soutiens actifs aux grévistes des transports, d’enseignants et étudiants, membres d’Unions locales proches. D’où une vie nouvelle de ces AG, étoffées et dynamisées, héritant de nouveaux moyens mais parfois de nouveaux problèmes aussi.

Mais quid d’un état-major des grévistes ?

Aussi bien à la RATP qu’à la SNCF, entreprises éclatées en une infinité de sites, la nécessité d’une coordination s’est naturellement fait sentir. Car si aujourd’hui les réseaux sociaux viennent largement à la rescousse, ils ne suppléent pas. Et la nécessité politique d’une direction du mouvement, centralisée par les grévistes eux-mêmes, s’est imposée le jeudi 19 décembre au soir, à l’annonce durement ressentie que les directions syndicales nationales n’appelaient plus à rien avant le 9 janvier. Une réponse collective des grévistes s’imposait.

Des syndicats locaux RATP et SNCF ont passé les jours suivants à assurer un genre de service après-vente, en ne lâchant pas le terrain, en redoublant de déclarations au ton radical contre la trêve, en cessant de mettre des bâtons dans les roues aux comités (puisqu’ils restaient les mieux à même de mobiliser pendant les fêtes), en organisant par exemple à Paris, le lundi matin 23 décembre, un rassemblement à la gare de Lyon. Ils ont tenté d’atténuer la méfiance qui avait soudain surgi contre les directions nationales afin de leur sauver la peau et de garder le contrôle. Mais restait la question de la centralisation de la lutte. De sa direction. Une question incontournable et qui n’a pourtant pas été résolue. En région parisienne, grâce aux efforts conjugués de camarades du NPA animateurs de Révolution permanente et de camarades de notre courant l’Étincelle, une coordination de grévistes de la RATP et de la SNCF a existé, qui n’a représenté que quelques centaines de grévistes mais a eu le mérite d’exister. Quelques mots sur son histoire.

D’une rencontre RATP/SNCF…

Une poignée d’agents RATP, souvent anciens militants syndicaux, vétérans de la grève de 2007 qui avaient rendu leur carte à la CGT, ont lancé fin septembre les groupes WhatsApp et Facebook « RATP/SNCF : l’union fait la force ». Des cheminots d’extrême gauche, dont nos camarades qui avaient lancé « les rencontres intergares » lors de la précédente grève en 2018, mais aussi ceux du courant NPA/Révolution permanente, qui avaient aussi animé cette Intergares pour la transformer ensuite en association/collectif, les ont contactés pour organiser des rencontres à la fin octobre. C’était après la journée de grève spectaculaire du 13 septembre à la RATP, et dans le cadre de la préparation du 5 décembre, date alors lointaine fixée par les directions syndicales. Trois réunions ont eu lieu avant la grève, réunissant une vingtaine de salariés de chaque entreprise. Ce cadre était modeste, mais des militants de ces deux secteurs se réunissaient probablement pour la première fois pour préparer ensemble la réussite d’une grève. Les réunions entre militants et futurs grévistes de la RATP/SNCF ont permis d’organiser des tournées communes dans les gares et chantiers (pas tous les jours non plus !) qui ont toutes été accueillies positivement. L’action commune intervenait sur fond de réchauffement social, non seulement à la RATP mais aussi (par contagion manifeste) à la SNCF où le mois d’octobre a été marqué par des « dépôts de sac » et autres mouvements de grève intempestifs, ne respectant pas les sacro-saints préavis.

… à un embryon de coordination

Après le démarrage le 5 décembre de la grève à la RATP et à la SNCF, cette « rencontre » s’est tenue chaque semaine, sans parvenir à développer beaucoup son audience. L’appel à la trêve de l’intersyndicale du 19 décembre a accéléré les choses. Dès le lendemain, vendredi 20 décembre, quelque 90 grévistes RATP/SNCF (surtout RATP) se réunissaient quasiment au pied levé, suite à l’appel sur facebook d’un des organisateurs des « rencontres » et de Révolution permanente, Anasse Kazib, cheminot gréviste. Énervés par ce lâchage venu d’en haut et bien décidés à ne laisser aucune trêve à Macron, les grévistes ont commencé à discuter entre eux de la situation et d’un calendrier d’actions jusqu’au 9 janvier : action devant le siège de la RATP à la gare de Lyon, manifestation réussie de grévistes le 26 décembre (deux jours avant la manifestation syndicale du 28), organisation réussie de piquets tournants sur les dépôts de bus… Cette réunion baptisée désormais « coordination RATP/SNCF » a contribué à faire vivre la grève pendant les fêtes en région parisienne. Elle n’était pas la seule, d’autres pôles ont permis aux grévistes de se manifester pendant cette période : le syndicat Sud-Rail de la gare de Lyon, appuyé sur une AG de grévistes nombreuse, a aussi organisé des actions entraînant un milieu plus large. La CGT RATP bus, pour ne pas être en reste, a elle aussi pris des initiatives en rassemblant plusieurs centaines de personnes au dépôt de Vitry-sur-Seine, autour d’une visite de Philippe Martinez.

Des partisans de « la grève aux grévistes, jusqu’au retrait » se coordonnent

C’est pourtant dans cette « coordination » que des grévistes, tout particulièrement ceux de la RATP qui n’avaient pas connu de grève depuis 2007, ont pu faire l’expérience de l’organisation commune, à une échelle plus large que celle de leurs dépôts et AG ; qu’ils ont discuté entre eux des perspectives de leur mouvement, et décidé ensemble d’actions, en se convainquant par des arguments et pas seulement à coups de galons syndicaux. Un bon tiers des dépôts de bus RATP ont été représentés dans cette coordination, par des grévistes actifs capables d’entraîner leurs collègues. Quelques lignes de métro ont participé aussi, mais bien plus modestement, la coordination n’ayant pas réellement eu d’influence sur ce secteur. Enfin, côté SNCF, quelques AG de gares ont envoyé des représentants ou des observateurs, Saint-Lazare, Austerlitz, Paris-Est, Le Bourget et gare du Nord, les ateliers de Châtillon, et même Lille ou Strasbourg – car nous ne perdions pas l’ambition d’une coordination plus large et nationale.

À plusieurs reprises, cette coordination a regroupé des dizaines (frisant la centaine) de grévistes de la RATP et de la SNCF, qui ont débattu des caisses de grève, de leurs actions de blocages tournants et solidaires ; qui ont organisé des rassemblements parfois à plusieurs centaines devant des commissariats pour faire libérer des camarades. Derrière une grande banderole commune (« la grève aux grévistes jusqu’au retrait »), les calicots des diverses gares, dépôts de bus ou attachements de métro, se sont retrouvés tous ensemble, sous un mélange de drapeaux syndicaux. Autant d’initiatives et d’occasions de discussions. Cette « coordination » a probablement brassé au total quelque cinq cents grévistes de la RATP (surtout) et de la SNCF, bien peu au regard des dizaines de milliers de grévistes de ces secteurs, mais ce milieu a fait des expériences utiles et chaleureuses, connu aussi quelques grincements de dents, quand des réunions, certes vivantes, n’en finissaient pas de finir (classique !), quand des intervenants outrepassaient leur temps de parole ou que des décisions ou actions n’avaient pas été décidées collectivement, voire prises en petit comité de façon peu démocratique.

S’élargir aux enseignants grévistes ?

Cette coordination (qui s’est néanmoins donné rendez-vous avant la prochaine journée du 24 janvier), a senti après la journée du 16 janvier, qu’avec la montée du climat dans le milieu enseignant tandis qu’une reprise du travail s’amorçait dans son propre milieu, il devenait opportun de s’élargir à ces nouveaux grévistes déjà en lien avec ceux des transports dans des interventions communes. De telle sorte que le vendredi 17 janvier, dans une certaine urgence et improvisation, la grande salle de l’annexe Charlot de la bourse du travail à Paris s’est remplie de grévistes et de représentants d’« interpros » du 92 et de Bagnolet. Un nouveau rendez-vous a été donné, au mardi 21 janvier, ce qui est positif à condition de ne pas perdre le cap de l’organisation de grévistes. Car il existe un foisonnement d’« interpros » (terme passé dans les mœurs) qui recouvrent des réalités diverses : des assemblées à dominante de grévistes, animées par des militants d’extrême gauche qui ont à cœur d’organiser des grévistes, mais parfois aussi animées par des militants du PC, de la France insoumise ou d’équipes syndicales dont la perspective n’est pas la démocratie ouvrière dans la lutte. Et la chute des effectifs grévistes dans les transports peut déplacer défavorablement le curseur.

La coordination de ces grévistes de la RATP/SNCF qui étaient la locomotive du mouvement, aurait-elle pu être nationale ? Ces grévistes auraient-ils pu s’imposer comme interlocuteurs, agir comme un état-major du mouvement en s’adressant aux travailleurs de tout le pays et donner le signal de l’offensive générale ? Il n’y a évidemment pas de réponse à cette question, qui en appelle au contraire un millier d’autres. Mais les révolutionnaires ne peuvent qu’être têtus, et toujours poser la question du contrôle d’une grève par celles et ceux qui la mènent.

20 janvier 2020, Raphaël Preston

(Article paru dans Convergences révolutionnaires no 130)