Folio, 2009, 7,80 €.
La panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian concluait la sordide opération de récupération d’un réseau de résistants de travailleurs étrangers par le gouvernement qui, dans le même temps, s’attaque aux travailleurs immigrés et remet en cause le droit du sol à Mayotte. Un hommage qui ressemble d’autant plus à un crachat que Macron déclare sans sourciller que « du temps de Manouchian, la France contrôlait ses frontières ». Une déclaration publiée dans… l’Humanité, qui tout comme le PCF, se prête à cette récupération.
Il faut dire qu’en termes de récupération cocardière du groupe Manouchian, l’Humanité et le PCF n’en sont pas à leur coup d’essai ! Puisque, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, alors que ce parti était au gouvernement, il ne rendit guère d’hommage aux résistants étrangers et aux FTP-MOI. C’est son passage dans l’opposition, à partir de 1947, qui va être l’occasion d’un revirement en 1955. Toujours pas placé sous le signe de l’internationalisme ! En effet, pour la direction du PCF, l’enjeu de cet hommage – l’inauguration de la rue du Groupe-Manouchian et la publication du poème d’Aragon Strophes pour se souvenir 1–, c’est alors de s’opposer à la remilitarisation de l’Allemagne de l’Ouest. Drôle d’hommage à Missak qui écrivait : « Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine pour le peuple allemand. » Une manœuvre d’autant plus hypocrite que, dans le même temps, face à la lutte du peuple algérien pour son indépendance, le PCF était bien taiseux.
C’est en janvier 1955, un mois avant cet hommage, que débute le roman de Didier Daeninckx, où l’on emboîte le pas de Louis Dragère – journaliste à l’Huma et militant du PCF chargé par Jacques Duclos de mener une enquête sur le parcours de Missak afin d’« être prêts à confondre les calomniateurs » qui pourraient remettre en cause le récit du parti. Il découvre au fil de ses rencontres le parcours d’un militant ouvrier : son expérience d’enfant qui avait 8 ans quand son père a été assassiné par les sbires de l’État turc lors du génocide arménien – événements qui en ont fait un apatride –, ses années à travailler à Beyrouth puis à Paris, son rapprochement du PC à partir de 1934 face à la menace fasciste, ses activités littéraires et politiques au sein de l’immigration arménienne et, enfin, le détail de son activité de direction du réseau de l’Affiche rouge. Une enquête rythmée par la recherche de celui ou celle qui a trahi le réseau de résistants et permis la capture de Missak par la police. Une enquête qui mène le journaliste à rencontrer d’anciens résistants, des immigrés arméniens… et même un militant trotskiste qui lui apprend que le bras droit de Manouchian, Armenak Manoukian2, était loin d’être un stalinien, puisque, ancien officier de l’Armée rouge et partisan de Trotski, il s’était évadé de déportation en URSS !
Au-delà de l’enquête, l’intérêt de ce roman est de (re)découvrir l’engagement de travailleurs étrangers contre la barbarie nazie. Leur révolte légitime face à l’antisémitisme d’État a été dirigée dans une impasse par les staliniens qui brandissaient le drapeau tricolore plutôt que le drapeau rouge. Aujourd’hui, on aurait bien raison de se reconnaître dans le parcours du véritable Missak plutôt que dans la légende cocardière qui l’entoure.
Firelei Lambert
1 Celui qui a connu la postérité et que nous avons détourné à l’occasion de la panthéonisation : https://npa-revolutionnaires.org/la-fiche-mal/
2 Aussi connu sous le pseudonyme de Tarov, militant bolchevik-léniniste arménien. https://www.marxists.org/francais/4int/bios/tarov.htm