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Grande distribution de sales coups

Dans l’hypermarché d’Armentières, les vols se sont fortement accrus cet été. Des produits de première nécessité ou de l’alcool, par caddies ou valises entières – elles-mêmes volées dans l’enceinte du magasin – témoignent de la baisse du pouvoir d’achat dont l’enseigne, qui augmente outrageusement ses prix, est partiellement responsable. Près de 700 euros de marchandises sont volés chaque jour par des clients venant en petit groupes plus ou moins organisés, une peccadille pour le groupe mais une source d’angoisse pour les salariés.

Enfin pour ses ex-salariés, car depuis le mois de janvier les employés de cet hypermarché Carrefour travaillent pour un franchisé ; ce qui se traduira par la perte des « avantages » de la convention collective Carrefour dans quelques mois, une pression accrue, à laquelle la direction a d’ores et déjà préparé les salariés : « Avec la location-gérance ça ne va plus être pareil. » On prépare les salariés à devenir des « vaches à lait ».

« Les vaches à lait du groupe »

C’est le sobriquet employé en haut lieu pour désigner ses « associés », les franchisés, témoigne Jérôme Coulombel dans un livre à charge contre son ancien employeur, Carrefour la grande arnaque. Par une mécanique bien huilée, l’inventeur du modèle des hypermarchés cède ses magasins les uns après les autres.

L’enseigne fait miroiter à un de ses anciens employés de devenir son propre patron. Moyennant un apport financier faible, l’entrepreneur créé une société anonyme chargée de gérer un magasin. Cette entreprise, il en rachètera le reste du capital grâce aux bénéfices promis par la belle courbe du business model qu’on lui fait miroiter. Chauffé à bloc, le candidat signe dans la minute les 500 pages de contrats antidatés (la loi prévoyant un délai de réflexion).

Le postulant ne sait pas qu’il a signé un pacte avec le diable en personne, à qui il doit acheter les marchandises au prix qu’il fixe et payer le loyer qu’il décide. Toute rupture du contrat de bail de la part du gérant lui coûtera dix années de location du magasin et des impôts fonciers. Par contre Carrefour peut résilier le contrat sans frais et sans justification à délai d’application de trois mois. Une telle décision conduit immanquablement le franchisé à la ruine, lui qui s’endette pour constituer ses stocks, assurer ses frais de rénovation du magasin… « Faites ce qu’on vous dit, ou on appuie sur le bouton ! » s’entendent dire les franchisés qui ont l’outrecuidance de grincer des dents devant Carrefour.

Les salariés, variable d’ajustement

Aux déconvenues du contrat initial léonin s’ajoutent les manquements à ce même contrat, les « ruptures d’approvisionnement », les marchandises payées par le franchisé mais jamais livrées. Elles atteignent 15 % en valeur des marchandises commandées ! Il n’y a pas de menu larcin qui ne rapporte gros à la multinationale. Et les marchandises livrées sont fournies à des tarifs plus élevés que ceux pratiqués par Carrefour lui-même dans ses propres grandes surfaces. Au final ces « vaches à lait », dont le salaire fixé par le contrat est de 2000 euros brut ne gagnent pas plus qu’à leurs anciens postes mais travaillent beaucoup plus et essuient les pertes, le cas échéant.

Au travers de la pression sur ces gestionnaires faussement indépendants le groupe mène en réalité une guerre sociale contre ses propres salariés. Passés de 112 000 en 2017, date à laquelle Carrefour cesse de se vanter d’être le plus grand employeur de France, à 82 000 aujourd’hui. Ces salariés, quoique formellement rattachés à la PME gestionnaire du fonds, travaillent bien pour Carrefour, qui empoche l’essentiel de la plus-value. Mais ils ne bénéficient pas des avantages de la convention collective. Plus de 13e mois, de remises sur les achats en magasin (de 10 % sur les marchandises), de mutuelle financée à moitié par le groupe, de participation aux bénéfices, du PEE (plan épargne entreprise) et autres avantages du comité d’entreprise…

Surtout les salariés ont comme premier interlocuteur un patron pressuré par la multinationale et qui n’hésitera pas à employer toutes les astuces pour faire des économies : recours aux stagiaires, aux étudiants, aux heures supplémentaires non payées… sans jamais mouiller le numéro deux de la grande distribution.

Deux « collaborateurs » franchisés témoignent dans une lettre de plainte au groupe

« En juin 2017 Carrefour nous a recontactés pour nous présenter le magasin Carrefour City Grenelle, situé à Paris 15, qui nous a été présenté comme une merveille… Il y avait une masse salariale trop importante que nous avons dû épurer, ce qui prend un certain temps et qui in fine arrangeait bien notre franchiseur puisque nous nous sommes retrouvés “à faire le sale boulot”. »
M. Coulombel témoigne aussi dans son livre de son échec à peser sur l’État et la justice pour corriger ce scandale. Perquisitionné par les autorités suite à son témoignage dans le documentaire Hypermarché : la chute de l’empire, il montre aussi comment le dossier qu’il a fait avancer à Bercy a disparu suite à une intervention d’une certaine Morgane, haut fonctionnaire à la fiscalité puis directrice du cabinet du PDG M. Bompard (payé 9 millions d’euros l’an pour l’application de ce sinistre stratagème de location-gestion), redevenu haut fonctionnaire à Bercy.

De retour à Armentières, le patron a poussé vers la sortie les deux syndicalistes CGT et CFDT, des « historiques » de l’entreprise dont le second avait pourtant accompagné la transformation vers la location-gérance. Pour arracher les meilleures conditions de travail, les travailleurs ici comme ailleurs seraient bien inspirés d’imiter leurs collègues de Maubeuge qui ont débrayé vendredi 20 octobre dernier à l’annonce que l’hypermarché des Épinettes passerait en location-gérance en 2024. Subissant les mêmes coups, exploités in fine par le même patron, les travailleurs de la grande distribution ne peuvent compter que sur eux-mêmes et leur capacité à se coordonner avec les autres magasins par-delà les fictions juridiques que les patrons créent pour nous diviser.

Louis Dracon