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Marseille 73, de Dominique Manotti : il y a cinquante ans, les attentats racistes dans le midi

Eté 1973, il y a cinquante ans, les attentats racistes dans le midi


Marseille 73
, de Dominique Manotti

Points, 2022, Points Policier, 7,95 €

 


 

Tout a commencé le 11 juin 1973, dans la ville de Grasse, lorsque les travailleurs immigrés se sont rassemblés devant la mairie pour protester contre l’application de la circulaire Marcelin (le Darmanin de l’époque), une loi destinée à limiter l’immigration en subordonnant la délivrance d’une carte de séjour à l’obtention d’un contrat de travail. Forme brutale de « l’immigration choisie » et politique d’expulsion. Dans la nuit du 11 au 12 juin, les murs de la charmante ville de Grasse (celle des parfums, des fleurs… et des immigrés qui les cultivent) se couvrent d’affiches « Halte à l’immigration sauvage » signées Ordre nouveau. Ce 12 juin, alors que 200 travailleurs immigrés en grève reviennent devant la mairie, ils sont dispersés par les lances à incendie des pompiers appelés par le maire de la ville, homme de droite, 18 ans maire et qui sera encore réélu en 1987 en s’alliant avec le Front national. Dans la soirée et toute la nuit, ce sont les CRS qui lancent, matraques à la main, la chasse aux grévistes dans les rues de la ville, ratonnades épaulées par un petit groupe de commerçants qui créent un « Comité de vigilance ». « Ces manifestations d’immigrés sont absolument scandaleuses » déclare monsieur le maire : « C’est très pénible, vous savez, d’être envahi par eux. »

La vague d’attentats racistes va durer tout l’été dans le midi de la France. C’est celle-ci que décrit le roman Marseille 73 de Dominique Manotti. Une bonne lecture pour l’été.

Sous la forme d’un polar, Dominique Manotti donne un aperçu de ce que fut l’extrême droite française au début des années 1970, quand, truffée d’anciens de l’Organisation de l’armée secrète (OAS), de policiers et de militaires revenus tout droit de la guerre d’Algérie, elle avait ses clubs de tir et abattait des Arabes dans les rues de Marseille « pour la sécurité des Marseillais » et « contre l’immigration sauvage ».

Son roman est du début à la fin basé sur des faits réels, cette série de meurtres racistes perpétrés de l’été à l’automne 1973 : une quinzaine recensée dans la seule ville de Marseille, une cinquantaine dans toute la France.
La mort d’un conducteur de bus marseillais, tué par un malade mental qui se trouvait être d’origine algérienne, avait déclenché dans cette ville une nouvelle effervescence raciste : campagne dans la presse locale, constitution d’un « Comité de défense des Marseillais » animé par l’extrême droite qui participa (aux côtés de syndicats corporatistes peu regardant sur le racisme) à l’enterrement du chauffeur, avant que, dans la soirée même, certains de ses membres ne se lancent dans des ratonnades, faisant trois victimes, dont le jeune Ladj Lounes (Malek dans le roman), abattu devant un café fréquenté par des Maghrébins dans un quartier populaire de la ville.

Le combat contre les crimes racistes – Le Mouvement des travailleurs arabes

C’est l’enquête sur le meurtre du jeune Lounes qui constitue la trame du roman. On y voit les liens étroits entre les groupes d’extrême droite marseillais, le Service d’action civique (SAC) gaulliste de Charles Pasqua et la police, ainsi que la complicité des juges qui s’empressent d’enterrer ces crimes racistes sous l’étiquette de règlements de comptes entre « petits délinquants arabes ».

Dominique Manotti fait revivre le combat mené contre ces crimes racistes par quelques associations d’aide aux immigrés, comme la Cimade (association protestante) dont l’un des responsables, pasteur, est expulsé manu militari sur ordre du gouvernement vers son pays d’origine (heureusement pour lui, la tranquille Suisse) et surtout le combat mené par les travailleurs maghrébins eux-mêmes, dont une organisation créée à l’époque, le Mouvement des travailleurs arabes (MTA). Celui-ci lança, après les assassinats, un mot d’ordre de grève qui paralysa le chantier naval de La Ciotat, puis une grève sur toute la ville et, le 14 septembre, une grève à l’échelle de la France entière, largement suivie notamment dans les usines métallurgiques de la région parisienne.

Les silences complices

Dominique Manotti relate l’action des militants ouvriers maghrébins, la solidarité qu’ils ont trouvée auprès de l’extrême gauche et d’associations de défense des immigrés. Elle souligne aussi le silence complice du maire socialiste de Marseille, Gaston Defferre, et évoque la pleutrerie des directions syndicales. Rappelons que le quotidien communiste régional, La Marseillaise, désavouait en ces termes la grève lancée par le MTA : « Certains groupuscules essaient d’entraîner les immigrés dans des actions irréfléchies qui les isoleraient. Qui manipule ces groupes ? Qui cherche ainsi un affrontement en grand ? À qui cela profite ? Sans conteste à ceux qui trouvent intérêt à l’immigration sauvage qu’ils ont favorisée. » La CGT marseillaise avait désavoué aussi la grève. Mais la ténacité du MTA et des mouvements qui le soutenaient a finalement contraint, après moult hésitations, les syndicats nationaux (hormis la CFDT…) à se dire solidaires de la seconde grève, celle du 14 septembre.

Dans ce roman, on peut dire que les seuls personnages de fiction sont les trois seuls policiers qui, en opposition avec la « maison poulaga1 », mènent l’enquête jusqu’au bout : trop beaux pour être vrais. Mais on ne fait pas un bon polar sans une bonne enquête.

Olivier Belin

1 La police.