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Notre revanche sera le rire de nos enfants, de Sorj Chalandon

Black-star (s)éditions, 2022, 692 p., 25 €

 


 

De 1976 à 2006, Sorj Chalandon a suivi pour le journal Libération le conflit nord-irlandais. La maison Black-star (s)éditions l’a sollicité pour publier un recueil de ses articles. Bonne idée : c’est une vraie radiographie au long cours du conflit qu’offre ce livre.

Inspirés du mouvement des Noirs américains pour les droits civiques, des militants de la partie catholique de la population nord-irlandaise combattent dans les années 1960 les discriminations dont elle est victime. En retour, des milices de protestants mènent de véritables campagnes d’exactions contre les catholiques. En 1969, l’armée britannique intervient, officiellement pour protéger les catholiques. Mais cette protection s’avère toute relative. Le massacre du Bloody Sunday à Derry en 1972 (une marche pacifique catholique prise pour cible par les parachutistes anglais – on peut voir à ce sujet la reconstitution presque documentaire que constitue le film de Paul Greengrass, Bloody Sunday, tourné en 2002) précipite le basculement de toute une génération de jeunes catholiques d’Ulster dans la lutte armée au sein du mouvement nationaliste pour la réunification de l’île, constitué à la fois de la clandestine IRA (Armée républicaine irlandaise) provisoire et de sa vitrine politique Sinn Féin.

Lorsque Sorj Chalandon arrive en Ulster, le fossé entre les deux communautés est plus profond que jamais. Les catholiques vivent dans de véritables ghettos dans lesquels les services élémentaires, écoles ou hôpitaux, n’existent pratiquement pas. Sa sympathie évidente pour les opprimés lui ouvre bien des portes. L’IRA ne s’y trompe pas et choisit Libération pour faire passer ses communiqués à la presse. On suit la grève de la faim des détenus républicains emmenés par Bobby Sands – le titre du recueil est une citation d’un de ses discours – la politique d’escalade militaire réciproque de l’IRA et de l’armée britannique, et le lent et progressif abandon de la lutte armée par les nationalistes.

Ses articles emmènent cependant aussi le lecteur dans l’intimité de la population d’Ulster, ou dans les pubs de l’Eire, cette Irlande du Sud indépendante qui maintient longtemps une attitude ambivalente envers les Irlandais du nord catholiques, et une franche hostilité à l’égard de Sinn Féin. Il tire également des reportages « de l’intérieur » de la communauté protestante, jusqu’aux rassemblements aux relents fascisants du leader unioniste Ian Paisley. L’auteur ne détourne pas non plus le regard de la violence des « soldats » de l’IRA dans ses aspects les plus sordides.
Agrémenté de photographies de Patrick Frilet, de cartes et de repères chronologiques qui permettent de mieux cerner ce que décrit Sorj Chalandon, ce recueil se lit d’une traite ou se picore selon l’humeur du lecteur. Certes, on aimerait parfois mieux comprendre les rapports entre les classes, que la dynamique à la fois nationale et confessionnelle de l’affrontement éclipse largement. Mais ces articles sont une plongée dans l’arène déjà très éclairante.

Mathieu Parant