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Privatisation des facs : la moitié des universités grecques occupées !

Après sa victoire électorale l’an passé, Kyriakos Mitsotakis, président du parti de droite dure sobrement nommé Nouvelle Démocratie, prépare actuellement une loi, dénommée « Université libre » pour autoriser la création d’universités privées. Vieux dessein de la droite grecque qu’un mouvement étudiant de masse avait fait reculer sur un projet similaire en 2006-2007. Ce programme de destruction de l’enseignement public choque et est en violation directe de la Constitution grecque entrée en vigueur en 1975 à la suite de la chute de la dictature des colonels… Les réactions ne se sont pas fait attendre, et un mouvement étudiant se développe rapidement.

Un embrasement rapide

Présentant son projet aux doyens des universités et au Conseil des ministres les 15 et 20 décembre derniers, le gouvernement, sans trop d’assurance, a exprimé son souhait de voter la loi dans les mois qui viennent, c’est-à-dire le plus vite possible1. En effet, l’annonce de cette loi et la campagne gouvernementale qui l’accompagne ont secoué la jeunesse et la société grecque qui, malgré tous les reculs sociaux et politiques imposés depuis une quinzaine d’années, demeurent attachées au caractère public de l’enseignement et à la possibilité pour des jeunes même issus de milieux modestes d’étudier à l’université : 70 % des jeunes grecs de 18 à 24 ans étudient à l’université2.

À Athènes, où les protestations sont les plus fortes depuis quinze jours, les étudiants se sont emparés de presque toutes les facultés de la ville. C’est également le cas de la moitié des facs à Thessalonique, et d’un tiers de celles de Patras ou Ioannina. À l’heure actuelle, plus de la moitié des facultés (250 sur 450) de Grèce sont occupées. Occupations décidées par des assemblées générales, qui ont eu lieu les 7-9 janvier et se sont prolongées à la suite de nouvelles décisions en assemblée les 15-17 janvier. La participation aux assemblées générales a gonflé considérablement dans la semaine du 15 janvier, regroupant parfois jusqu’à un tiers, voire plus, des étudiants de chaque faculté, notamment à Athènes. Ces occupations ont déjà fait sauter ou risquent de faire sauter les partiels.

Au-delà des occupations, deux journées de manifestations dans plusieurs villes du pays ont marqué la mobilisation les 11 et le 18 janvier. À Athènes, la manifestation du 11 janvier ne regroupait que 3000 manifestants, mais celle du 18 janvier en a rassemblé près de 10 000. Une prochaine série d’assemblées est prévue cette semaine et une manifestation nationale ce jeudi.

L’influence du Parti communiste, mais des perspectives pour l’extrême gauche

L’extrême gauche et la gauche radicale-réformiste, qui globalement ont des militants dans la grande majorité des facultés, participent à l’animation de la mobilisation avec des orientations et des pratiques divergentes. Toutefois, jusqu’à maintenant, la jeunesse du Parti communiste (Kommounistikó Kómma Elládas, KKE) et sa fraction étudiante (Front de lutte étudiante ou Metopo Agona Spoudaston, MAS) sont les plus influents dans la mobilisation, qu’ils ont largement contribué à développer. Cela n’est pas une surprise : au cours de ces deux dernières années, ces militants ont développé leur appareil et même battu la droite au cours des élections étudiantes : ils contrôlent aujourd’hui une centaine d’unions syndicales étudiantes3.

Restreignant les mobilisations à l’expression du mécontentement, afin de « puiser des leçons politiques », le Parti communiste a souvent été un frein pour mener les batailles jusqu’au bout. Pendant la révolte de décembre 2008, consécutive à l’assassinat par la police d’Alexis Grigoropoulos, lycéen athénien de 16 ans, et alors qu’un large soutien s’exprimait en faveur des jeunes qui, à l’aide de cocktails Molotov, tenaient les rues face aux flics, les staliniens cherchaient à isoler les jeunes en affirmant : « La révolte populaire véritable ne cassera même pas une seule vitre. » Sous une phraséologie plus ou moins radicale, à maintes reprises ces dernières années, le PC s’est comporté comme gardien de l’ordre bourgeois. Lors du mouvement des Indignés en juin 2011, le PC traitait les manifestants de petit-bourgeois réactionnaires. Lors de grandes grèves nationales d’octobre 2011, ses militants protégeaient le Parlement grec de centaines de milliers de manifestants en colère. Lors du référendum de juillet 2015, le PC donnait des arguments « de gauche » à Syriza4. Tout récemment, au printemps 2023, lors de l’explosion de colère qui suivit l’accident ferroviaire à Tempi, ce parti rappelait que « privé ou public, le chemin de fer sert les intérêts des capitalistes » : rien de faux, mais rien qui, au-delà de la propagande, ne permette non plus de donner des objectifs concrets et développer les contestations.

Aujourd’hui, la domination du PC sur le mouvement est incertaine, car ce dernier reste dynamique. Une mobilisation qui déborderait Athènes pour se répandre dans toute la Grèce, la consolidation et le développement des assemblées étudiantes, l’élection des comités de grève et bien sûr la structuration de coordinations démocratiques, pourraient permettre de franchir un cap voire de déborder les perspectives institutionnelles des staliniens pour aller réellement à la confrontation avec le pouvoir. La question de la pauvreté imposée aux jeunes et de l’absence de perspectives offertes à la classe ouvrière se pose bien au-delà de l’accès à l’université ou d’un article de la Constitution. Le mouvement, en se développant, pourrait et devrait s’affronter à la bourgeoisie grecque et ses parrains internationaux5.

Chris Miclos (article écrit avec l’aide et les informations de militants trotskistes de l’OKDE qui publient le journal Lutte ouvrière et sont actifs dans la mobilisation)

 

 


 

 

1  Sur la rhétorique gouvernementale et face à elle un argumentaire de militants de l’Organisation des communistes internationalistes de Grèce (OKDE) présents dans les quatre plus grosses villes étudiantes et dans 29 facultés voir https://www.okde.gr/archives/20928

2  À titre de comparaison, d’après l’Insee, en France, seuls 45% des jeunes de 21 ans sont encore en formation à cet âge.

3  Le plus souvent, les unions syndicales étudiantes sont organisées sur la base d’une faculté et plus rarement sur la base d’un regroupement de facultés.

4  Sur le contexte et les perspectives de 2015 voir notamment : https://www.convergencesrevolutionnaires.org/Memorandum-ou-revolution ; le problème a également été rediscuté lors de nos rencontres de l’été dernier : https://npa-revolutionnaires.org/video-limpasse-de-la-gauche-au-pouvoir-exemples-internationaux-allemagne-grece-etat-espagnol-rer-2023/

5  Sur la soi-disant sortie de crise de la Grèce voir : https://www.convergencesrevolutionnaires.org/Grece-tout-va-mieux-malgre-une-inflation-a-deux-chiffres