Nos vies valent plus que leurs profits

1995-2023 : d’un ensemble de mouvements à un mouvement d’ensemble

Décembre 1995

 

 

L’histoire des luttes sociales des trente dernières années est marquée par des victoires, en 1995 contre le plan Juppé qui voulait aligner les retraites de la fonction publique sur celles du privé, en 2006 contre le contrat première embauche (CPE) de Dominique de Villepin, qui imposait plus de précarité aux jeunes, ou en 2020 contre la retraite à points, mais aussi par des défaites, face aux réformes des retraites de 2003, 2007, 2010, 2014 et 2023 ou à la loi Travail de 2016… Et surtout par une accumulation d’expériences collectives.

Compter la grève d’un secteur ou la généraliser ?

Si la victoire de 1995 n’a pu effacer les pertes subies par le privé, c’est que celui-ci a été cantonné à un rôle de soutien à la grève « par procuration » des transports. Une stratégie qui a mené aux défaites de 2003 et 2010, malgré des manifestations au moins aussi massives qu’en 1995. Les secteurs en grève reconductible – fonction publique, cheminots ou raffineries – ont été isolés faute de plans de généralisation au-delà des « journées saute-mouton ».

En 2023, le mouvement s’est distingué par son ampleur : quatorze journées nationales, des cortèges gigantesques jusque dans les petites villes, des centaines de milliers de manifestants issus de secteurs peu habitués à descendre dans la rue. Malgré le mépris du gouvernement, le recours au 49.3 et une répression brutale, la mobilisation a tenu près de six mois. Mais, en l’absence d’assemblées générales massives et d’une grève reconductible forte, elle a buté sur les limites du calendrier de l’intersyndicale, alors qu’aucun secteur ne jouait le rôle de « locomotive ».

Construire des cadres pour imposer une autre direction

Des tentatives de dépassement des rythmes et stratégies des appareils syndicaux ont néanmoins connu des succès réels. 2003 a été marqué dans l’éducation par des formes d’auto-organisation rarement vues, avec des « grèves marchantes » sillonnant les villes et des AG massives et coordonnées.

Trois ans plus tard, la jeunesse scolarisée a entraîné le monde du travail, avec des AG et une coordination étudiante qui ont pu disputer la direction du mouvement aux directions syndicales.

Depuis 2010, dans plusieurs villes et départements, des AG interprofessionnelles ont réuni des centaines de grévistes de multiples secteurs voulant construire un mouvement d’ensemble, en commençant par voter la reconduction quotidiennement, défiler côte à côte dans les manifestations, mener des actions de blocage, de soutien aux piquets et d’extension de la grève, en lien avec des AG de secteurs, notamment de gares.

Le mouvement de 2016 a été l’occasion que se rencontrent des équipes combatives partageant la volonté de sortir de l’émiettement des grèves et des journées, sans attendre l’initiative des directions syndicales. De ces rencontres et des luttes des années suivantes sont nés des collectifs militants, qui ont notamment permis le lancement d’une caisse de grève nationale en 2019 par Info’Com CGT, SUD Poste 92 et la CGT Goodyear, outil essentiel de la reconductible.

Malgré les défaites, chaque mouvement a été l’occasion de gagner des habitudes précieuses, de tisser des liens solides et de tirer des leçons essentielles pour les prochaines batailles de notre classe.

JB Pelé

 

 


 

 

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