
Du 6 au 12 décembre, le NPA-R a assisté en tant qu’observateur au congrès de la Ligue internationale socialiste (LIS), qui s’est tenu à Istanbul en présence d’organisations d’une quarantaine de pays, d’Amérique latine, d’Europe, mais aussi du Liban, du Kenya et du Pakistan. Le congrès a donné lieu à des échanges riches, autour de nombreux bulletins de discussion, auxquels il était précieux d’assister et de contribuer. Le NPA-R remercie les camarades de la LIS pour cette invitation et s’engage à poursuivre les échanges, notamment lors de la prochaine conférence de Paris, dont la quatrième édition aura lieu en mai 2026.
Au cours de ces journées, près d’une centaine de militants ont échangé sur les défis auxquels ils font face : guerre en Ukraine, crise écologique, ascension de l’extrême droite, génocide à Gaza et montée des tensions impérialistes. Mais le débat a aussi porté sur les réponses à ces défis, et notamment sur le programme des révolutionnaires dans la situation.
Ce congrès a acté le rapprochement et l’intégration de plusieurs groupes dans la LIS : le Mouvement Alternative socialiste (MAS) du Portugal, Socialist Horizon aux États-Unis, la Ligue pour la Cinquième Internationale (L5i) qui s’engage dans un processus d’intégration sur deux ans, et enfin l’Opposition trotskiste internationale – avec sa section italienne, le Parti communiste des travailleurs (PCL) – qui, elle, avait déjà franchi le pas il y a quelques semaines. Après plusieurs années d’échanges, ils avancent dans un regroupement international sur la base d’accords programmatiques sur la guerre en Ukraine et la question nationale palestinienne.
Un effort salutaire de réunir les forces des révolutionnaires, qui mérite dès lors de réussir. Le projet de la LIS n’est pas nouveau. Fondée en 2019, la LIS est un des courants trotskistes internationaux issus de la crise du morénisme. Centrée au départ sur le Mouvement socialiste des travailleurs (MST) en Argentine, elle a étendu son réseau en agglomérant des équipes issues de la crise des partis communistes, comme les groupes libanais ou kenyan, mais surtout en intégrant le groupe « La Lutte » du Pakistan (organisation nationale implantée). Elle franchit aujourd’hui une nouvelle étape dans le regroupement, ou plutôt les « incorporations » à la LIS.
Toutefois, la méthode même de ce processus interroge. Nous ne pensons pas que ce type d’accords suffisent à rassembler durablement nos forces. Pour regrouper, il ne suffit pas de s’accorder sur des cadres programmatiques minimaux – bien que nécessaires – sans discuter les désaccords et passer l’épreuve de tests concrets. Le lien entre ces discussions sur les aspects programmatiques d’une part, et les étapes de construction de nos organisations, leurs tâches pour une intervention et la construction de directions nationales d’autre part, n’est ni simple ni mécanique. Pour faire le bilan de nos positions respectives, nous préférons commencer par militer ensemble afin de les mesurer, de les confronter sur le terrain, en intervenant dans les luttes lorsque c’est possible. Mais une telle perspective n’est pas aisée à mettre en place sur un terrain international, où les transpositions ne sont pas toujours possibles, faisant ressortir le manque d’une direction internationale reconnue et éprouvée par l’expérience.
Les débats du congrès ont, pour partie, reflété ces limites. Un certain nombre de discussions de fond abordées, qui laissaient entrevoir des divergences de conception parmi les participants (nature de l’État chinois, « éco-socialisme », conception féministe…), ont été éludées, pour privilégier le processus de regroupement. Remises à plus tard, certes, mais elles n’en soulignent pas moins les difficultés du pari.
Sur le fond, outre nos points de désaccords connus avec la LIS (parmi lesquels un certain fétichisme du programme, une appétence à soutenir des blocs de résistance de manière unilatérale en perdant la critique des directions nationalistes, une focalisation sur le travail syndical, ainsi qu’un lien par trop mécanique entre tâches démocratiques et socialistes…), un nouveau champ de discussion a émergé dont les termes du débat, tels qu’ils ont été posés, ne convainquent guère : le débat sur la tactique électorale et le néo-réformisme. En effet, avec la montée de l’extrême droite, des partis à la gauche de la gauche, comme la France insoumise en France, Die Linke en Allemagne ou Your Party au Royaume-Uni, se présentent comme des remparts contre l’autoritarisme. Le congrès a été polarisé par les débats relatifs à leur caractérisation, au cours desquels les réticences à les qualifier de partis « bourgeois », ou même « ouvrier-bourgeois » comme dirait Lénine, trahissaient une volonté de justifier des tentatives d’entrisme ou d’accommodements… De même sur la question de la « tactique électorale » (appel au vote, soutien critique, fronts électoraux, candidature en propre…), où l’insistance sur le caractère seulement « tactique » de ces options laissait suggérer, au contraire, une orientation plutôt « stratégique » à l’endroit de ces formations néo-réformistes.
Pourtant, ces partis ont pour objectif de sauver les apparences sans rompre avec une gestion démocratique du capitalisme. C’est ce que Boric, au Chili, a incarné : il a canalisé le mouvement social dans des élections et une Assemblée constituante, qui n’ont rien changé. En favorisant la démobilisation générale, cette « nouvelle gauche » a fini par porter l’extrême droite au pouvoir. De manière générale, ces gauches prétendument « de rupture » n’ayant pas d’autre perspective qu’une arrivée rapide au gouvernement et donc à la gestion des affaires de la bourgeoisie, elles se condamnent à des alliances avec les partis avec lesquels elles prétendaient rompre. Appeler à « voter critique » ou entrer dans certaines de ces formations « néo-réformistes » ne permet pas de s’adresser aux travailleurs qui se tournent vers elles. Pour peser sur celles et ceux qui espèrent combattre l’extrême droite dans les urnes, les révolutionnaires doivent rester pleinement indépendants des nouveaux partis réformistes, y compris dans les élections. Unité d’action dans les luttes, certes, mais sur le terrain de l’organisation politique l’urgence est à la construction d’une force révolutionnaire qui s’appuie sur ces mouvements, ne cherche pas à les canaliser dans les urnes, mais au contraire à en faire l’instrument d’une politique en faveur des classes populaires : un pôle des révolutionnaires qui affirme son ancrage ouvrier, sa solidarité avec les révoltes de la jeunesse contre toutes les oppressions, sa perspective d’une société communiste, en toute indépendance de la gauche institutionnelle.
Sur ce sujet, comme sur d’autres, les échanges entre révolutionnaires doivent se poursuivre, et se multiplier. C’est un des grands mérites du cadre proposé par la LIS. Toutefois, dans un monde mû par de profondes reconfigurations, il est essentiel que les révolutionnaires discutent certes de leurs points d’accord, mais peut-être surtout de leurs désaccords. Une prochaine opportunité de le faire sera la Conférence internationaliste de Paris, dont la quatrième édition aura lieu en mai 2026, organisée par le NPA-R, Lotta Comunista, la LIS et le comité promoteur. Il s’agira pas à cette occasion de construire une nouvelle Internationale, mais de porter un cadre d’échanges politiques et d’expériences militantes. C’est une étape modeste, mais un préalable indispensable pour poser sur des bases solides l’internationalisme prolétarien.
Hélène Arnaud et Louis Trova