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L’ONU en Haïti : contre les gangs ou contre la population ?

Le 2 octobre, le Conseil de sécurité de l’ONU a voté, à la demande des États-Unis, l’envoi d’une « force multinationale » en Haïti, ce pays des Grandes Antilles de 11 millions d’habitants, parmi les plus pauvres de la planète. Elle est destinée en principe à éradiquer les gangs armés omniprésents dans le pays, qui assassinent et rançonnent la population. Depuis le début de l’année, ils ont fait 2 500 morts, 1 000 blessés, autant de kidnappés et 10 000 personnes déplacées pour fuir les violences, selon le rapport de l’ONU.

Pour éradiquer ces bandes, si tel était vraiment l’objectif, c’est au régime lui-même qu’il faudrait s’en prendre, à sa couche de politiciens et d’hommes d’affaires, étroitement liés aux gangs. L’assassinat du président du pays, Jovenel Moïse, en juillet 2021, n’a jamais été élucidé, tant il était lié aux règlements de comptes. Il faudrait aussi s’en prendre à la police : les 92 gangs qui règnent dans la capitale, Port-au-Prince, souligne un rapport de Human Rights Watch, sont « liés à des politiciens et à des membres de la police ». Et lorsqu’en juillet dernier des habitants de Tabarre, une banlieue de Port-au-Prince, s’étaient réfugiés devant l’ambassade américaine pour fuir la terreur des gangs, c’est la police qui est venue les déloger, à coups de matraque et gaz lacrymogène.

Mais ce n’est pas tant de protection qu’il s’agit pour l’ONU et les États-Unis. Il s’agit surtout d’éviter que le régime ne s’effondre. Et d’éviter que la population haïtienne ne s’en mêle. Comme elle avait commencé à le faire au printemps dernier avec des milices d’auto-défense nommées « bwa kale » (« pieu affuré »), qui, ripostant aux raids des gangs, « ont tué plus de gangsters que la police » en quatre mois, constate l’ONU.

Quant à la misère, les États-Unis y contribuent largement : de janvier 2021 à septembre 2022 ils avaient rapatrié de force 41 000 Haïtiens émigrés. Pendant que 59 000 autres migrants haïtiens étaient expulsés de la République dominicaine, l’autre moitié de cette grande île qu’elle constitue avec Haïti, où de nombreux Haïtiens vont chercher du travail, surexploités dans les grandes exploitations agricoles.

Maintenir l’ordre face à une population cantonnée dans la misère, rackettée par des gangs de mèche avec les patrons et l’ossature même de l’État, telle est la seule mission dévolue à cette future force multinationale.

Le Kenya, premier pays à avoir offert ses services, devrait envoyer un contingent de 1 000 gendarmes, rejoint plus tard par des troupes d’autres pays, alors que la police kényane est « elle-même accusée d’actes de violence par l’ONU lors de la dernière vague de manifestations au printemps au Kenya » (Le Monde du 2 octobre 2023). Pays pauvre d’Afrique de l’Est mais qui héberge une base militaire américaine et un camp d’entraînement de l’armée britannique, le Kenya en a l’habitude, ayant participé à des opérations onusiennes au Kosovo, en Sierra Leone, au Soudan du Sud, en République démocratique du Congo. Des opérations considérées comme des affaires lucratives par le gouvernement de ce pays, sans grandes ressources à exporter. Pour financer celle d’Haïti, les États-Unis ont promis 100 millions de dollars. Mais l’opération est pour l’instant suspendue, la décision du président ayant été contestée pour défaut de consultation du Parlement.

Les Haïtiens n’avaient rien de bon à en attendre. Leur défense contre des gangs liés à un patronat mafieux, des politiciens et un appareil d’État corrompus, ne peut être garantie que par la population elle-même, sous son contrôle.

« Présentes dans le pays depuis 1994, les missions civiles et militaires sous le chapeau de l’ONU ou de l’OEA [Organisation des États américains] n’ont pas empêché le développement et la prolifération des gangs armés contre la population. […] Partout dans le pays, l’organisation des masses exploitées et de la classe ouvrière en force collective est la meilleure façon de résister aux affres des bandits et de leurs complices. Organisons-nous. Mettons sur pied des forces d’autodéfense consciente avec la participation de la population et sous son contrôle » écrit le mensuel Voix des travailleurs dans son numéro du 28 septembre, du groupe révolutionnaire haïtien OTR (Organisation des travailleurs révolutionnaires, proche de Lutte ouvrière).

Olivier Belin