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Tang Ping : le droit à la paresse

L’assombrissement de la situation économique en Chine renforce le « Tang Ping » au sein de la jeunesse. Ce terme, qui signifie « se jeter au lit » ou « ne rien faire », est apparu sur l’internet chinois au moment de la crise du Covid pour désigner le rejet croissant des injonctions au travail parmi les jeunes. Dénoncé par le pouvoir autant qu’il est revendiqué par les internautes chinois (comme le montre la popularité du mot-clé), ce phénomène du refus du travail mal payé, fatigant et sans intérêt n’est certes pas nouveau, ni propre à la Chine. En Occident, les médias ont évoqué la « grande démission » des jeunes actifs au même moment, et déjà en 1880, Paul Lafargue suscitait le scandale de la bourgeoisie bien-pensante en défendant le « droit à la paresse » des ouvriers. Mais la Chine n’est pas n’importe quel pays : l’atelier du monde est le cœur de la production capitaliste internationale. Le ralentissement de la croissance actuel entraîne à la fois une montée du chômage, en particulier chez les jeunes, et une surexploitation accrue de ceux qui restent au travail. C’est ce contexte qui explique à la fois le « Tang Ping » et l’inquiétude de la bourgeoisie chinoise à ce sujet.

Des premiers signes de ce phénomène étaient déjà apparus au cours des années précédentes. En 2016, alors que le pays avait été traversé par une vague gréviste inédite, les « Sanhe Dashen » – des travailleurs migrants installés dans le Shenzhen ne travaillant que quelques jours en usine pour partir sitôt leur paye empochée et zoner dans les cybercafés pour jouer à des jeux vidéo –, avait déjà créé un premier émoi médiatique. Mais le phénomène avait été réduit à l’apparition d’une simple « sous-culture » de jeunes marginaux. En 2021, le « Tang Ping », également identifié sur les réseaux sociaux comme « Sang » (manque de morale) ou « Foxi » (style bouddhiste) a en revanche créé une véritable panique morale chez les milieux dirigeants, obligeant Xi Jinping à appeler dans tous ses discours les jeunes « à se retrousser les manches » pour « travailler dur ». C’est que le Tang Ping ne concerne pas seulement la fraction la plus précaire et instable du prolétariat chinois mais l’ensemble de la jeunesse, qu’il s’agisse des ouvriers comme des petits-bourgeois diplômés. C’est justement chez ces derniers que le malaise est le plus perceptible au sein de l’internet chinois. La crise covid et la multiplication des sanctions économiques américaines ont fermé de nombreux débouchés dans le privé, notamment parmi les groupes actifs à l’international. La désillusion est extrêmement forte et entraîne par conséquent une démoralisation accélérée des jeunes diplômés que le pouvoir cherche à contrer en multipliant les sorties nationalistes. Avec plus ou moins de succès…

Depuis quelque temps, une chanson cartonne sur internet en dépit de la censure : « Yangguang kuaile Kong Yiji » (« Monsieur Kong Yiji bien content et optimiste » https://youtu.be/PWXsiOVeTFE). Le titre est une allusion directe à une nouvelle férocement ironique de Lu Xun, le grand écrivain anarchiste, qui se moquait des aspirants-mandarins brutalement privés de carrières par la révolution de 1911 ! Rythme enfiévré, mimiques moqueuses, paroles vengeresses :

« Le garçon du Rickshaw n’a pas tiré la charrette assez vite, il en est mort »[…]
« Tu conduis une Lamborghini et tu te moques de moi et me traite de paresseux »[…]
« Quand j’ai le culot de demander ma paye, les flics m’embarquent »,
alors
« Vous me demandez si je suis heureux, j’ai juste envie de dire des gros mots »[…]
« Vous me demandez qui je suis : l’ensoleillé et joyeux Kong Yiji ».

Est-ce vraiment « Une jeunesse “désorientée” par les difficultés économiques et en quête de “stabilité” » comme titrait le journal Le Monde en mars dernier ? « La France s’ennuie » titrait le même journal en mars 1968, deux mois avant l’explosion de mai. Elle ne s’était pas ennuyée longtemps.

Jacques Lejuste