Nos vies valent plus que leurs profits

À ArcelorMittal ou ailleurs, nationalisation ou pas, seule la lutte coordonnée des entreprises menacées permettra de garantir les emplois !

Le vote à l’Assemblée nationale favorable à la nationalisation des sites français d’ArcelorMittal a surpris jusqu’aux promoteurs du projet. La CGT a été soutenue par la gauche, LFI en tête, pour porter une lutte d’autant plus « symbolique » que parlementaire et utile à ses ambitions électorales. Le succès, qu’on le veuille ou non, a été permis par l’abstention du RN et les 365 députés qui n’ont pas pris part au vote.

Surenchère nationaliste de la gauche

Conscient de la confusion des genres, Mélenchon n’a pu que multiplier les superlatifs. Vendant la peau de l’ours et sachant qu’on ne le tuera pas à coup de vote parlementaire, il proclame le soir même : « Cette nuit, une page d’histoire à l’Assemblée nationale ! », taisant que ce sera au Sénat de valider le vote de l’Assemblée, ce qu’il ne fera très probablement pas.

Le 4 décembre lors d’un meeting de Charleville-Mézières, Mélenchon a crié victoire, fier de rivaliser avec le « patriotisme » du RN et de brandir le mythe d’une sidérurgie française jadis « première d’Europe » : Usinor, ancêtre d’Arcelor, recapitalisé sur nos impôts, mais bientôt colonisé par « un Hindou », Mittal, venu « nous » dire (à « nous » les Français) « ce que nous devons faire ».

Un vote qui ne démasque personne

Si la nationalisation avait été le résultat de la lutte des ouvriers d’ArcelorMittal, le vote à l’Assemblée aurait eu une autre signification. En juin dernier cependant, au rassemblement à Dunkerque, des militants syndicaux expliquaient combien la revendication de la « nationalisation » avait du mal à prendre auprès des salariés.

Ce projet de loi pour une nationalisation se situe dans les limites du sauvetage de la sidérurgie française, c’est-à-dire des profits. Avec 1,8 milliard de subventions rien que ces deux dernières années, l’État pourrait se dire déjà propriétaire des sites français – mais le projet prévoit de donner 3 milliards de plus à Mittal. Le texte ne garantit rien en termes d’emplois, ce qui est pourtant, de l’aveu du porte-parole de la CGT ArcelorMittal, Gaëtan Lecoq, la revendication des ouvriers : « Nous, ce qu’on veut, ce n’est pas l’aumône, c’est garder nos emplois. »

Même validé au Sénat, le projet de loi ne garantit aucun maintien des emplois

Or tout le monde le sait, aucune nationalisation n’a jamais garanti le moindre emploi. Ni le changement de propriétaire, ni un vote parlementaire : seule la lutte des ouvriers rejointe par ceux de tout le pays le pourrait !

Sous régime capitaliste, l’État propriétaire se comporte comme tout capitaliste : quand il nationalise (totalement, partiellement ou momentanément), c’est seulement pour socialiser les pertes, restructurer et prendre en charge les licenciements, quitte ensuite à reprivatiser les gains… En 1978, l’État a ainsi effacé les dettes des barons de l’acier comme Wendel. En 2012, Hollande, qui avait promis de sauver ArcelorMittal Florange avant son élection, déclarait : « On aurait nationalisé, on aurait dû fermer nous-mêmes ». Son Premier ministre ajoutait : « L’histoire de la mine, de l’acier, de la sidérurgie s’est soldée par des dizaines de milliers d’emplois supprimés, y compris quand la sidérurgie était nationalisée. »

Même si la loi était validée par le Sénat, rien ne garantirait que l’État ne vide pas les sites de Basse-Indre, Montataire, Florange et même ceux de Dunkerque, Fos-sur-Mer ou Mardyck, pour mieux rentabiliser les seconds et finalement fermer les premiers ! On peut maintenir temporairement des sites pour mieux les vider, but avoué de la direction de Stellantis concernant Poissy.

Nationalisation dans les limites du capitalisme ?

Les détracteurs du projet de loi ont donc quelques raisons d’objecter. La direction du groupe rappelle que les aciéries de Dunkerque et Fos-sur-Mer « livrent moins de 30 % de leur production en France, en raison de la désindustrialisation ». Elle prévient qu’en cas de nationalisation, les branches non françaises rivaliseraient pour les marchés : « Florange travaille certes pour les usines de Stellantis dans l’Est mais aussi pour Mercedes. » Tiens donc ! L’acier dépend de l’automobile qui licencie en masse…

Une raison supplémentaire pour les travailleurs de mener un combat commun, mais une manière pour les patrons de renvoyer aux décisions de la Commission européenne qui a voté un premier volet de mesures protectionnistes contre les concurrents chinois (50 % de taxe à l’importation) et qui réserve un deuxième volet pour des subventions massives à la décarbonation. Organisations syndicales et partis de gauche s’accordent sur cette formule de Gaëtan Lecocq : « Le plan acier est en train de passer au Parlement européen. […] Donc ça veut dire qu’il faut qu’on tienne la pression jusque là-bas. »

Dans la lutte, les travailleurs ont des alliés partout et ailleurs qu’au Parlement !

Nationalisation ou pas, mesures protectionnistes ou pas, les alliés des travailleurs ne sont pas au Parlement (et certainement pas au RN), mais avant tout dans leurs propres rangs : ArcelorMittal, Stellantis, STMicroelectronics, Sanofi, Teisseire, et tous leurs sous-traitants sont menacés de licenciements, fermetures et suppressions d’emplois. Si ces salariés trouvaient les moyens de prendre contact en vue de se coordonner, le rapport de force deviendrait national et de taille à faire plier les patrons de la sidérurgie, de l’automobile, de la chimie ou de l’agro-alimentaire, ainsi que tous les gouvernements et parlements à leur service.

Leo Baserli