Là où les économistes attendaient une récession, l’économie américaine affiche une croissance de 1,9 % et 2,5 % en 2022 et 2023. Pour les économistes, les Américains s’enrichissent aussi. Plus vite qu’ici… ce qui n’est pas très difficile.
Des chiffres en trompe-l’œil
Les mêmes économistes ne comprennent pas pourquoi les électeurs ne plébiscitent pas Biden. Paul Krugman, chroniqueur au New York Times, s’appuie sur une étude montrant que le salaire réel – en tenant compte de l’inflation – des travailleurs les moins bien payés a progressé de 9 % entre décembre 2020 et décembre 2024. Sauf qu’il s’agit du salaire horaire. Un article de Romaric Gaudin dans Mediapart du 2 mai dernier affirme que, concernant les salaires réels médians, la progression sur la même période n’a été que de 0,8 % : d’abord, de nombreux travailleurs à temps plein n’ont eu que des augmentations minimes (3 %). Et elles ne suivent pas l’inflation. Ensuite, encore faut-il avoir un emploi régulier, à temps plein. De plus, la progression du salaire « réel » est calculée à partir de l’indice des prix à la consommation, un indice moyen, le même pour tout le monde, riche ou pauvre. Or la hausse des prix n’est pas uniforme : celle des produits de première nécessité pèse bien plus lourd sur les petits salaires.
Les travailleurs américains ne s’en laissent pas conter
Le désamour des travailleurs pour Biden attise chez ses soutiens la crainte qu’il ne soit pas réélu. Mais aussi la crainte d’un renouveau des luttes ouvrières.
Cette année, des grèves importantes ont eu lieu aux États-Unis. La plus spectaculaire a été la grève contre les patrons de General Motors, Ford et Stellantis qui a permis d’obtenir des contrats plus favorables. La stratégie des patrons de l’automobile consistant à déplacer les usines dans les États du sud, où le taux de syndicalisation est faible, commence peut-être à être mise en échec : l’UAW a réussi à s’implanter dans l’usine Volkswagen de Chattanooga dans le Tennessee. Et il y a eu des victoires aussi dans d’autres secteurs, chez Amazon, Starbucks, les scénaristes d’Hollywood, les profs de lycée dans plusieurs États, les infirmières. Les travailleurs de la logistique ont obtenu la disparition des contrats à plusieurs vitesses.
Un regain de combativité qui bouscule les bureaucraties syndicales
Le regain de la combativité ouvrière se traduit aussi par l’émergence de militants contestant l’inertie des directions syndicales traditionnelles. Dans l’automobile, cela a abouti au remplacement de l’ancien président par une figure de la contestation interne au syndicat, Shawn Fain. D’autant plus facilement que deux des précédents dirigeants du syndicat ont été emprisonnés pour corruption. À une échelle certes plus modeste, mais peut-être significative, cela s’est traduit par une affluence inattendue au rassemblement sur plusieurs jours de syndicalistes contestataires qui a lieu tous les deux ans à Chicago à l’appel des Labor Notes et qui, en avril 2024, a rassemblé 4 500 militants – les organisateurs ont même dit avoir refusé 2 000 personnes.
Shawn Fain a pu y affirmer : « Lors de notre grève, nous ne nous sommes pas battus seulement pour les travailleurs de l’automobile, mais pour tous les travailleurs. La classe ouvrière est de retour ! » Envolée dans un meeting à l’ambiance survoltée, ou réalité ? Dans la tradition syndicale américaine, Shawn Fain a appelé à voter Biden. Mais comme le disait une participante lors de ces débats à Chicago : « Pourquoi devons-nous toujours choisir entre deux candidats qui ne nous représentent pas ? Quand est-ce que nous aurons un candidat à nous ? » Aux États-Unis comme ici, une question essentielle pour le monde du travail est son indépendance politique.
Jean-Jacques Franquier