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Argentine : les étudiants se mobilisent pour combattre le plan d’austérité de Milei [interview de Tatiana, UJS, Partido obrero]

Échanges entre le NPA-Jeunes Révolutionnaires et l’UJS du Parti ouvrier argentin : retour sur les mobilisations étudiantes

Dans le cadre d’échanges autour des mobilisations étudiantes récentes avec le secteur jeunes (Unión de Juventudes por el Socialismo – UJS) du Parti ouvrier (Partido Obrero) argentin, nous publions deux interviews. L’une porte sur la lutte menée par les étudiants et la classe ouvrière contre le gouvernement d’extrême droite de Javier Milei et sa politique d’austérité (ci-dessous). L’autre, sur les mobilisations étudiantes en France, en solidarité avec le peuple palestinien et sa répression par le gouvernement.

 

 


 

 

Argentine : les étudiants se mobilisent pour combattre le plan d’austérité de Milei

23 avril, place du Congrès à Buenos Aires. Crédit : Prensa Obrera

Interview de Tatiana Fernández Martí, étudiante à l’université de Buenos Aires (UBA), conseillère dans l’université de philosophie et de lettres et membre du conseil du corps étudiant de la faculté de philosophie et de lettres UBA, et militante de l’UJS du PO.

Alors que naît un mouvement international de solidarité avec le peuple palestinien, à l’heure où Netanyahou bombarde Rafah, camp de réfugiés à ciel ouvert où se trouvent entassés plus d’un million de Palestiniens, le NPA-Jeunes Révolutionnaires et l’UJS du Partido obrero ont souhaité échanger autour de nos mobilisations respectives. Ici, à l’instar des mobilisations aux États-Unis, nous participons aux assemblées générales et interfacs, aux rassemblements, aux manifestations, aux blocages et occupations afin de dénoncer la colonisation de la Palestine, et la complicité de Macron et son gouvernement dans le génocide en cours.

Les étudiants argentins, eux, se trouvent aussi dans une période de mobilisation, contre le gouvernement d’extrême droite de Javier Milei et ses mesures d’austérité, multipliant les attaques contre les travailleurs et faisant plonger la majorité de la population dans la pauvreté. Les universités sont particulièrement touchées par des coupures budgétaires immenses, certaines facultés se retrouvent sans électricité, seulement deux mois après la rentrée universitaire. Cela sert de point de départ pour les étudiants pour se mobiliser dans l’ensemble la politique de Javier Milei et sa guerre de classe.

 

 

Pourrais-tu nous résumer brièvement la situation dans les universités publiques argentines ? Quelles sont les raisons et les revendications qui vous ont poussé à manifester le 23 avril ?


Tatiana –
L’état des universités en Argentine est très critique. Le gouvernement de Javier Milei a décidé de geler le budget des universités, en allouant les mêmes ressources qu’en 2023, celles qui existaient déjà sous le précédent président, Alberto Fernández. Le problème est qu’entre ce moment-là et aujourd’hui, l’inflation a atteint près de 300 % d’une année sur l’autre, ce qui implique une coupe très importante dans les frais de fonctionnement et dans les salaires des enseignants et du personnel non enseignant, qui ont perdu environ 30 % de leur pouvoir d’achat.

Le mois prochain, les frais de scolarité augmenteront de plus de 500 %, ce qui met en péril l’existence des ressources nécessaires pour assurer les cours.

En plus de cela, la majorité des étudiants doit travailler et perçoit des salaires inférieurs au salaire minimum, qui s’élève aujourd’hui à 230 000 pesos argentins, parce qu’elle se trouve dans le secteur informel, où l’on est soumis aux règles de la précarisation de l’emploi. L’augmentation des prix des transports et le gel du système de bourses, qui s’élèvent à 20 000 pesos et sont attribuées deux fois par semestre, font que de plus en plus d’étudiants sont expulsés du système universitaire parce qu’ils n’ont pas les moyens d’acheter leurs carnets de notes ni de payer les frais de déplacement pour se rendre à la fac.

Pour faire face à cette situation, au début de l’année, les centres d’étudiants1 combatifs dirigés par l’extrême gauche, tels que le centre d’étudiants de pharmacie et de biochimie, de sciences vétérinaires de l’université de Buenos Aires, le centre d’étudiants d’arts visuels et d’arts du mouvement de l’université nationale des Arts, le centre d’étudiants de l’enseignement de Joaquín V. González, en collaboration avec des collectifs en lutte du monde de la culture, ont mené des actions de fraude dans le métro, en sautant par-dessus les tourniquets, reproduisant l’esprit des actions du mouvement étudiant au Chili en 2019. Ces actions ont marqué le début du processus de lutte étudiante en Argentine, qui, lorsqu’il s’est agi de poser le problème du risque que les cours ne puissent pas être maintenus, s’est développé avec des actions réalisées conjointement avec des enseignants et du personnel non-enseignant. Des journées de cours publics dans les rues, des rassemblements en entourant des facultés, des assemblées, et des veillées ont été organisées jusqu’à ce que la grande marche fédérale universitaire du 23 avril, qui a ébranlé l’Argentine, soit construite. Plus de 60 villes ont connu d’importantes mobilisations qui ont rassemblé plus d’un million de personnes dans les rues, ce qui a porté un coup politique fort au cœur du programme d’austérité du gouvernement Milei.

Comment se structure ce mouvement ? Comment réussir à disputer le terrain aux péronistes qui sont la seule force politique capable de mobiliser aussi massivement ?

Tatiana – Le mouvement éducatif qui défend l’université aujourd’hui est composé du mouvement étudiant, des syndicats d’enseignants et de salariés de ce secteur. Il est également constitué par les recteurs, qui forment le Conseil national interuniversitaire, composé de cliques politiquement alignées sur le réformisme-radicalisme (Union civique radicale) et le péronisme2 (deux blocs d’opposition qui garantissent aujourd’hui la gouvernabilité de Javier Milei, en lui donnant les voix nécessaires à la Chambre des députés pour approuver la réforme du travail, entre autres mesures austéritaires).

Les autorités se joignent à cette revendication, mais en défendant leurs propres intérêts. Elles ne veulent négocier avec le gouvernement que pour obtenir le budget qui garantit le fonctionnement de la faculté. Elles ne sont pas intéressées par le développement de la lutte pour les salaires des travailleurs de l’éducation, mais par la défense de leurs intérêts au sein de l’université publique. Déjà en 2016 et 2018, années où les universités de tout le pays se sont fortement mobilisées pour défendre leur budget, les autorités ont mis fin aux processus de lutte en concluant un accord avec le gouvernement de Mauricio Macri3.

De leur côté, les directions des Fédérations universitaires4 sont majoritairement dirigées par ces mêmes secteurs politiques : réformisme et péronisme-kirchnerisme5. Ils sont responsables d’avoir paralysé le mouvement étudiant pendant le gouvernement d’Alberto Fernández, en s’alignant sur une politique de nationalisation et en n’appelant à aucune action de lutte pour la défense du budget et des salaires, qui chutaient sous l’administration de Sergio Massa, alors ministre de l’Économie.

Après la mobilisation du 23, le mouvement étudiant est en état de délibération. Pour nous, il est stratégique que le mouvement de défense de l’université publique continue la lutte, pour contribuer à un mouvement généralisé de lutte de la population qui se donne pour défi de vaincre le plan de guerre de Milei contre les travailleurs.

Pour cela, il est essentiel que le mouvement étudiant ait une direction politiquement indépendante du pouvoir concentré dans les autorités et les gouvernements. Nous mènerons cette bataille lors des élections étudiantes afin de rallier davantage de centres étudiants à cette perspective.

Tatiana Fernández Martí, militante de l’UJS du PO
Comment définirais-tu la position de Milei qui revient à l’offensive avec la « Loi des bases »6, de son gouvernement, et de manière plus générale celle de la bourgeoisie ? Quels sont les défis auxquels vous êtes confrontés ?

Tatiana – Javier Milei, avec la nouvelle Loi des bases présentée au Congrès national, a l’intention de porter un coup historique à la classe ouvrière. Il veut éliminer la plupart des droits du travail qui ont été conquis par le mouvement ouvrier en Argentine, tels que les indemnités de licenciement, la suppression des amendes infligées aux entreprises pour travail non déclaré, l’élimination de la relation de travail entre les multinationales et les travailleurs embauchés par les entreprises sous-traitantes. En même temps, il veut vendre les ressources stratégiques du pays. Les entreprises étrangères ne devront payer aucune royalty pour l’exploitation du lithium, du pétrole et du gaz.

Cependant, Milei ne gouverne pas seul. C’est un gouvernement fragile, avec 38 députés et 7 sénateurs. Ce qui le soutient, ce sont les blocs politiques de l’opposition, de la gauche, qui veulent que Milei fasse le sale boulot exigé par les hommes d’affaires nationaux et multinationaux, le Fonds monétaire international (FMI) et l’impérialisme. Ils collaborent en lui attribuant les votes au Parlement et en paralysant les centrales syndicales, telles que la Confédération générale du travail (CGT) et la Centrale des travailleurs d’Argentine (CTA), afin de ne pas organiser les travailleurs.

Le défi consiste à renverser la Loi des bases grâce à la mobilisation populaire. L’approbation de la Chambre des députés a été un coup dur, que la population a vécu avec beaucoup de colère et de frustration. La tâche consiste à transformer la colère en organisation du mouvement ouvrier, avec à sa tête les syndicats combatifs et conscients de leur classe, à rompre avec la direction traîtresse de la CGT et à préparer l’organisation de la grève générale.

Vous vous mobilisez également en solidarité au peuple palestinien et avec tous ceux qui luttent en ce sens, notamment avec celles et ceux qui se mobilisent dans les facs, où vous essayez d’impulser des campements de solidarité ? Est-ce que ça a un écho dans la jeunesse, étudiante ou pas ? Ce mouvement international pourrait-il se généraliser à l’Argentine ? Comment vous posez-vous le problème d’un point de vue militant ?

Tatiana – Le génocide en Palestine a de nombreuses répercussions sur le secteur d’avant-garde et d’extrême gauche du mouvement étudiant dans les universités. Au milieu de l’année dernière, les organisations sionistes, très puissantes dans le pays, telles que la Délégation des associations israéliennes d’Argentine (Daia), qui a des liens avec le macrisme et le grand patronat, ont tenté d’attaquer par une campagne de censure les collectifs d’étudiants solidaires de la Palestine, en nous accusant d’être « antisémites ». Ils sont allés jusqu’à nous diffamer et à demander des réunions avec les autorités des universités pour interdire les affiches et les tracts des collectifs. Grâce à une grande campagne, où l’on a présenté des projets aux conseils d’administration, nous avons pu vaincre la tentative de censure. Cependant, l’Argentine est l’un des pays où l’influence du sionisme est la plus importante au monde, ce qui constitue un obstacle qui n’a pas pu être complètement surmonté en raison de l’hégémonie du discours dans les médias hégémoniques, entre autres.

Notre objectif est de radicaliser les actions de défense de la Palestine, afin de pouvoir lutter pour sa liberté, pour un État laïque, unique et socialiste, comme tâche stratégique contre la barbarie du capitalisme dans le monde entier. Nous devons surmonter ce monde de grandes crises et de guerres, ouvrir des processus révolutionnaires et lutter pour le pouvoir de la classe ouvrière dans le monde entier.

Propos recueillis le 8 mai

Tatiana Fernandez Martí et Ainhoa Bosc

 

 

Interview de Hortense (NPA-Révolutionnaires) : La lutte en solidarité au peuple palestinien depuis la Sorbonne

 

 


 

 

1  Instances de représentation des étudiants donnant un vaste champs d’action politique sur son université. Ces centres sont également menés à gérer des pans de la vie étudiante comme par exemple l’attribution des bourses.

2  Tradition politique de ceux qui revendiquent l’héritage de Juan Domingo Péron, militaire et président argentin (1946-1955/1973-1974) étant longtemps resté dans les sphères du pouvoir.

3  Président de 2015 à 2019. Ses soutiens sont nommés « macristes ».

4  Fédérations regroupant plusieurs Centres d’Étudiants.

5  Ceux qui s’associent aux présidents Nestór Kirchner (2003-2007), Cristina Fernández de Kirchner (2007-2015) et Alberto Fernández (2019-2023 – présidence dont Cristina Kirchner était la vice-présidente), du Parti justicialiste d’héritage péroniste.

6  Loi de Bases et points de départ pour la liberté des argentins. Nouvelle version de la « Loi omnibus » sur laquelle le gouvernement avait dû reculer, adoptée par le Parlement le 29 avril. Si elle comptait plus de 600 articles au départ, la version approuvée par le Congrès en possède plus que 232. Loi traitant de plein de sujets différents, comportant notamment un volet fiscal et sur le travail.