Éric Lombard, le ministre de l’Économie, a annoncé, le 14 avril, la couleur du budget 2026 : 40 milliards d’économies supplémentaires. Le lendemain, Bayrou a, de fait, confirmé en désignant les coupables. Oh, surprise, c’est la faute des travailleurs : nous ne produisons pas assez, nous ne travaillons pas assez, a dit cet expert en la matière qui a passé quatre ans à ne rien faire à la tête du Commissariat au plan, une coquille vide selon les sénateurs qui lui demandaient des comptes…
Le gouvernement s’en prend aux classes populaires pour mieux arroser les riches
Quelques jours auparavant, la directrice du Budget, Mélanie Joder, avait envoyé une circulaire à tous les ministères annonçant une baisse des crédits et des effectifs et exigeant la suppression de toutes les aides issues de la crise sanitaire et de la flambée des prix de l’énergie.
Baisse de tous les budgets ? Pas exactement ! Pour l’armée, Bayrou a d’ores et déjà annoncé 3 milliards supplémentaires. Suppression de toutes les aides ? Pas celles destinées au patronat : le gouvernement vient, sous le nom d’APLD-Rebond, de rétablir une partie des subventions aux entreprises du temps du Covid où c’est l’État et l’Unédic qui prennent en charge les salaires des travailleurs mis au chômage partiel. Le dispositif avait coûté, entre mai 2020 et juin 2022, quelque 35,2 milliards d’euros.
40 milliards, c’est aussi à peu de choses près ce que l’État verse annuellement à la Sécurité sociale pour payer les cotisations sociales dont les patrons sont exonérés, totalement pour le Smic et partiellement jusqu’à 1,4 fois le Smic. D’une façon générale, l’Ires1 chiffrait à 157 milliards d’euros les montants – subventions directes, crédits d’impôts et exonérations fiscales – versés par l’État aux entreprises, soit plus du tiers du budget de l’État !
Il ne s’agit pas non plus de faire payer les riches, même un peu, puisque Bayrou écarte toute hausse des impôts. Enfin… ceux des riches : en 2024, les impôts ont augmenté pour toutes les catégories, sauf pour les plus riches… Si vous n’avez toujours pas compris qui est visé, la brochure du gouvernement, La vérité permet d’agir, en remet une couche : « Nous devons faire un constat lucide et mettre fin [… à la] hausse incontrôlée des arrêts maladie depuis la fin du Covid. » Dans le viseur, les fraudes aux allocations familiales, à l’assurance vieillesse et aux arrêts maladie observées en 2023 et qui voisinaient un milliard d’euros. Mais pourquoi ne pas comparer à la fraude fiscale dénichée, aux 15,2 milliards de redressements fiscaux ? Ils ne sont évidemment pas effectués auprès des travailleurs qui ne déclarent pas eux-mêmes leur salaire. Quant aux estimations, elles sont de 5 à 7 milliards pour les fraudes sociales… contre 80 à 100 milliards pour la fraude fiscale !
Partis de gauche et syndicats pleurnichent
Le député LFI Éric Coquerel a condamné un « exercice de propagande » dans les déclarations de Bayrou, brandissant la baguette magique censée résoudre le problème : la censure du gouvernement. Il est vrai que cela a tellement bien réussi : après la chute de Barnier, on a eu… Bayrou !
Du côté des syndicats, on n’est guère mieux loti. Tout ce qui est demandé, ce sont des mesures fiscales. Pour Marylise Léon, de la CFDT, « il faut un impôt plus juste en France, sinon on ne résoudra pas l’équation ». Pour Sophie Binet, de la CGT, « il faut prendre l’argent là où il est ». Et comment parvient-on à « faire payer les riches » ? En demandant gentiment à Macron-Bayrou ?
Pourtant, la colère est là. Parce qu’ils s’apprêtent à faire grève, on en parle ces derniers jours pour les cheminots, dont les conditions de travail sont de plus en plus dégradées et sur qui on fait pression avec l’ouverture à la concurrence. Mais la colère est plus générale, avivée par la véritable hémorragie de plans de licenciements – Auchan, Gifi, Intermarché, Michelin, etc. : la CGT a recensé plus de 300 plans dits « sociaux » à la fin 2024, concernant près de 300 000 emplois.
Émiettement des luttes ou lutte d’ensemble ?
Gouvernement et patronat attaquent tous les secteurs. Les directions syndicales préparent-elles une riposte d’ensemble ? On nous objecte toujours qu’un mouvement général ne se déclenche pas en appuyant sur un bouton. Mais, à l’inverse, peut-on imaginer construire une riposte sans jamais en parler ? Pour l’instant, les directions syndicales s’efforcent d’empêcher toute convergence. Rien que chez les cheminots, la CGT appelle à la mobilisation dès le 5 mai. SUD-Rail appelle les conducteurs le 7 mai, les contrôleurs du 9 au 11 mai… La CGT des organismes sociaux appelait à la grève le 3 avril, à manifester le 1er mai et ouvrait comme perspective l’abrogation de la réforme des retraites le 5 juin, à l’occasion de la niche parlementaire du Parti communiste.
Les attaques contre nous sont annoncées. Les travailleurs, mais aussi les militants syndicaux que la couardise de leurs dirigeants fait enrager, n’auront de solution que de s’organiser sans ces états-majors, héros de toutes les défaites.
Jean-Jacques Franquier
1 Institut de recherches économiques et sociales, dont la direction est partagée entre « partenaires sociaux » et l’État.