
Après la révolte du jeudi 25 septembre au samedi 11 octobre, le colonel du Capsat, Michaël Randrianirina, qui était intervenu pour faire tomber l’ex-président Rajoelina, s’est fait proclamer président vendredi 17 octobre. L’objectif est de calmer la situation en comptant sur les illusions que sèmerait un nouveau pouvoir qui se prétend du côté des manifestants. Mais, symbole du monde des affaires qu’il compte servir, c’est Herintsalama Rajaonarivelo, le directeur de la BNI, la banque nationale de l’industrie, une des plus grosses banques du pays appartenant au milliardaire franco-malgache Hiridjee, qui vient d’être nommé Premier ministre.
Bref retour sur la chute du pouvoir de Rajoelina
Dès les premières manifestations du 25 septembre, les policiers et les gendarmes ont gazé la foule avec des gaz lacrymogènes – pour la petite histoire, ceux qui ne sont pas d’origine chinoise sont produits par l’entreprise française Alsetex. Les gendarmes ont tiré à balles réelles, faisant plus d’une vingtaine de morts. Mais le mouvement a continué et le président Rajoelina, sous la pression, a limogé son gouvernement lundi 6 octobre. Après des discussions avec les forces politiques de sa coalition et de celle dite d’opposition (Firaisankina, dont fait partie l’ancien président Ravalomanana), le président a nommé, le 6 octobre, trois militaires dans son nouveau gouvernement. Mais une fraction de l’armée a choisi de se placer du côté des manifestants dès le samedi 11 octobre. L’appel est venu du régiment Capsat, une unité s’occupant de la gestion des armes et des munitions. C’était ce même régiment qui avait appuyé le renversement de Ravalomanana en 2009, au profit de Rajoelina, alors maire d’Antananarivo et se présentant comme homme d’une opposition démocratique. Après des négociations avec deux généraux, l’armée a acté la destitution du président, qui a pris la fuite à bord d’un avion militaire français. Il semble que Sarkozy, grand ami de Rajoelina, a conseillé à Macron de faire exfiltrer le président déchu, via un accord avec le chef du Capsat. Depuis Dubaï, Rajoelina a prétendu conserver le pouvoir avant d’être destitué par le Parlement, lâché par tous, y compris par son propre parti politique.
Comme une odeur connue
Mais ce n’est pas l’armée qui va apporter un quelconque progrès à une population dont la plus grande partie vit dans une grande pauvreté : ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui sont responsables de la situation à Madagascar. La « continuité institutionnelle » garantie par l’armée ne fait que recycler les responsables politiques d’hier, comme le montre la forte participation de la coalition parlementaire de Rajoelina (Irmar) et des proches de son prédécesseur (la coalition Firaisankina) dans la nomination du président de l’Assemblée nationale Siteny Randrianasoloniaiko. Premier secrétaire du Parti social-démocrate malgache depuis 2023, son parti a gouverné Madagascar de 1959 à 1972, sous la houlette dictatoriale de Philbert Tsiranana, ex-député apparenté SFIO de Madagascar à l’Assemblée française. De 2014 à 2019, Randrianasoloniaiko avait été élu sous la bannière du parti de Rajoelina et avait occupé le poste de premier questeur à l’Assemblée nationale (gestion financière). Quant à l’ex-président Ravalomanana, déchu en 2009 et accusé alors de malversations au profit de sa propre entreprise, Tiko, il est apparu aux côtés des militaires et des manifestants et est l’un des chefs de file de la coalition Firaisankina (à laquelle Siteny Randrianasoloniaiko appartient aussi) : comme les girouettes, les politiciens tournent avec le vent…
Quant au nouveau président, le colonel Randrianirina, il a été formé à l’académie militaire d’Antsirabe et a occupé, de 2016 à 2018, le poste de chef de région sur le territoire Androy. S’il est un opposant de Rajoelina de longue date – il a été incarcéré pendant trois mois en 2023 pour « tentative présumée de coup d’État » –, il avait vite retrouvé son poste au sein du Capsat. Lors de son discours vendredi 17 octobre, il a déclaré aux investisseurs que le nouveau gouvernement instaurera un « climat des affaires apaisé et sécuritaire ». Les patrons peuvent être tranquilles : l’exploitation du peuple malgache va continuer comme auparavant. Si rien ne vient entraver les objectifs de l’armée, la révolte malgache risque de connaître le sort des révoltes en Égypte, au Soudan, au Mali et qui, faute d’une politique indépendante des travailleurs, ont abouti à la mise en place de dictateurs militaires.
L’impérialisme français en coulisse dans son ancienne colonie
Macron et les éditorialistes invoquent la nationalité française de Rajoelina pour justifier l’exfiltration de ce meurtrier. Il l’avait obtenue en 2014, alors qu’il dirigeait le pays depuis sa prise du pouvoir en 2009, des mains de Sarkozy en remerciement des bonnes affaires que peuvent faire les capitalistes français à Madagascar.
Le soutien de Macron à Rajoelina, et sans doute demain au nouveau régime du colonel Randrianirina, recouvre les affaires des entreprises françaises, actrices au quotidien de l’exploitation à Madagascar. Orange est le deuxième opérateur de téléphonie du pays derrière Yas, dont le directeur, Benoît Janin, est un émigré français, et son propriétaire, le groupe Axian, appartient au milliardaire franco-malgache Hassanein Hiridjee. Ce même groupe Axian possède la Banque nationale de l’industrie (BNI), dont le directeur vient d’être nommé Premier ministre, en partenariat avec le groupe mauricien Ciel, dirigé par des descendants de colons français.
Dans le textile, le groupe Filatex et le groupe Socota dominent la production. Filatex est dirigé par Hasnaine Yavarhoussen, qui a pris la succession de son père dans une entreprise fondée à la fin des années 1970. Le groupe Socota est dirigé par le Franco-Malgache Salim Ismail, qui a lui aussi succédé à son le père, qui avait fondé l’entreprise en 1930, à l’époque où Madagascar était colonie française. Hollande avait décoré Salim Ismail de la Légion d’honneur en 2017. Socota est aujourd’hui une entreprise qui s’est diversifiée et est, par exemple, présente en France dans la distribution de produits de la mer. Des dizaines de milliers de personnes qui travaillent pour des salaires allant de 20 à 60 euros par mois, produisent des vêtements livrés aux entreprises Zara, Petit Bateau, Jacadi, Devred, LVMH, etc. L’entreprise française Paul Boyé Technologies, qui a obtenu un contrat cette année 2025 avec l’armée française pour l’équipement des nouvelles recrues (environ 125 000 soldats), les produira à Madagascar.
Contre les illusions : les réactions de la Gen Z Madagascar
Ce ne sont pas ces capitalistes franco-malgaches ni le banquier Premier ministre qui vont améliorer la situation de la majorité des Malgaches. Leur objectif n’est pas de développer Madagascar en donnant de l’eau, de l’électricité ou de la nourriture pour tous.
Les porte-parole de la Gen Z Madagascar réclament d’être associés à la transition : ils expliquent que la « jeunesse est ignorée » et expriment une « vive inquiétude et leur désapprobation face à la nomination du Premier ministre ». Ce sont, pour beaucoup, des étudiants ou des jeunes actifs à l’image d’un de leur porte-parole Elliot Randriamandrato, 31 ans, diplômé du master en affaires publiques de Sciences Po Paris et président de l’association écologiste Tetikasa ALA. Ou encore sa sœur Audrey, présente sur les plateaux de Tv5 monde. Elles et ils veulent de véritables changements pour les conditions de vie sur l’île. Mais ce ne sera pas le fait d’être consultés dans une « transition » dirigée par militaires et banquiers qui pèsera dans le sens du changement. Bien au contraire, avec une telle participation, ils serviraient de caution.
L’immense majorité de la population de Madagascar vit dans une extrême misère. Avoir accès à l’eau, à l’électricité, disposer de logements, de salaires qui permettent de vivre : avec un tel programme, la révolte de la jeunesse, en appuyant les luttes des classes populaires ou en aidant à les faire surgir, pourra trouver les moyens de dégager l’ensemble des corrompus, malfrats et exploiteurs.
Arvo Vyltt