Nos vies valent plus que leurs profits

Des droits de douane pour faire respecter les droits sociaux ? Quand la CGT veut Trumper les travailleurs

Pour riposter à l’offensive de Trump sur les droits de douane, la direction de la CGT a publié le 18 avril son plan intitulé : 16 mesures d’urgence contre la guerre commerciale. Mais plutôt que « contre la guerre », on pourrait plutôt lire « dans la guerre ». Car entre les deux politiques que manient les bourgeoisies au gré de leurs intérêts du moment, protectionnisme ou libre échange, la CGT a sa religion : elle est, rappelle-t-elle, « depuis longtemps » opposée à la seconde. C’est vrai, depuis qu’elle a remplacé l’internationalisme par les cocoricos et le « produisons français », ça fait déjà belle lurette. Et face aux « droits de douane réciproques » de Donald Trump, la CGT a inventé les droits de douanes dits « sociaux ». Protectionnistes de tous les pays, unissez-vous, serait sa nouvelle doctrine.

Guerre à la Chine

Est-ce contre l’Amérique de Trump que ces barrières douanières de la CGT voudraient se dresser ? Vous n’y pensez pas ! La suspension pour 90 jours par les États-Unis de la hausse des taxes sur les produits européens n’a pas échappé à la direction de la CGT : alors ne tentons pas le diable !… Et c’est à la Chine qu’il faudrait s’en prendre. Car du fait que Trump a augmenté les droits de douane à l’encontre de la Chine, celle-ci, faute de pouvoir exporter aux États-Unis, va inonder encore plus le marché européen de ses produits à bon marché : « La redirection forcée des flux chinois pourrait provoquer un dumping massif sur le marché européen, aggravant les difficultés de secteurs déjà fragilisés comme l’électronique, les équipements industriels, l’automobile ou la chimie », écrit la CGT. Il ne resterait donc plus qu’à faire comme Trump : taxer les produits chinois. Et faire augmenter le chômage en Chine plutôt qu’en France ?

Pour peindre en rose son trumpisme à la française, la CGT envisage de lui donner une couleur sociale. Trump dit qu’il va calculer les taxes douanières au prorata des actuels déficits commerciaux des États-Unis. La CGT voudrait calculer les siennes de façon à compenser les déficits sociaux. C’est ce qu’elle appelle une « modulation des droits de douane aux frontières de l’UE en fonction du respect des droits sociaux » : plus les salaires sont bas dans un pays, plus les droits de douane vis-à-vis de celui-ci devraient être élevés pour éviter que ses produits concurrencent « les nôtres »… Mais n’est-ce pas les prix et profits des patrons et pas « les nôtres » ? En clair, pour éviter à nos patrons la ruine et à nous les licenciements et les pressions sur les salaires, c’est l’ouvrier chinois ou bengalais qui sera menacé.

Des canons bien français pour répondre aux besoins sociaux

Une guerre, même seulement économique ou commerciale, ne peut se contenter d’être défensive. Si bien que pour relancer « notre » industrie (la CGT croyant peut-être désormais que les entreprises et leurs profits appartiennent aux travailleurs !), les « mesures d’urgence » de la CGT consacrent tout un chapitre au développement de l’industrie d’armement « made in France » : il faut ouvrir « la voie à une industrie de défense civile et militaire pour laquelle il convient de reconquérir notre souveraineté industrielle dans de nombreux domaines. Le pôle public national de défense (PPND), proposé par la CGT, doit permettre cette réappropriation de la maîtrise publique des industries d’armement et de leur stratégie industrielle. »

Il s’agit donc de chars, avions de combat, canons, drones et missiles démocratiques, puisque, précise le plan de la CGT, « la recherche militaire, la fabrication et le commerce des armes doivent faire l’objet de contrôles parlementaires stricts et renforcés », et que même les salariés doivent avoir des droits nouveaux « pour intervenir sur les choix stratégiques des entreprises et groupes concourant aux missions de la Défense nationale ». La centrale syndicale rajoutant que des droits à se syndiquer pour les militaires eux-mêmes permettraient « l’indispensable lien démocratique entre les armées et la nation ».

Sophie Binet à Bercy ou au ministère des Armées ?

C’est dans le même sens d’une prétendue démocratie nouvelle que la secrétaire générale de la CGT s’est déjà félicitée de la mise en place d’une « cellule de crise pour suivre la situation » sur les conséquences des droits de douane américains, rassemblant gouvernement et syndicats, « avec des réunions hebdomadaires pour faire le point sur les évolutions du sujet ». Une « victoire » pour Sophie Binet !

La CGT offre ainsi ses services pour mener à bien, aux côtés du patronat et de l’État, la guerre commerciale qui s’envenime depuis les déclarations de Trump. Elle propose des « Assises de l’industrie pour planifier la réindustrialisation », qui regrouperaient des représentants de l’État, des députés, des dirigeants d’organisations syndicales et patronales, tous et toutes en chœur pour une même cause nationale. Et pour mettre le peuple à contribution de la relance industrielle du pays, quoi de mieux que de « créer un livret épargne populaire », propose la CGT. Les actionnaires ne sont pas assez riches pour tout faire. Ils investissent seulement quand c’est grassement rentable. Alors pourquoi pas, pour relancer l’industrie, piquer dans les maigres économies des petites gens ? Certes les travailleurs n’ont pas beaucoup de sous, ils épargnent peu. Mais ils sont si nombreux… La CGT n’a rien inventé. Macron et ses ministres ont déjà pensé à puiser pour des dépenses de l’État dans les réserves des livrets A. Cette épargne était jadis consacrée à financer les constructions de logements sociaux… mais le budget 2024, passé en force par 49.3, autorise déjà explicitement à y puiser pour financer l’industrie de défense.

Il est loin, pour la CGT, le « Travailleurs de tous les pays, unissez-vous » ! À la veille d’un 1er mai, « journée internationale de lutte des travailleurs », ça la fout mal !

Olivier Belin

 

 


 

 

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