Dans Le Figaro, on chercherait en vain une critique de Dassault Aviation : la famille Dassault est propriétaire du journal. En France, huit des dix quotidiens les plus lus sont possédés par des milliardaires1 : Niel pour Le Monde, Arnault pour Les Échos, Bolloré pour CNews et Canal+, etc. C’est bien le signe d’une concentration du capital qui concerne aussi bien les journaux que les télévisions privées – souvent avec la bénédiction de l’État. C’est par exemple Hollande qui a facilité la prise de contrôle de Canal+ par Bolloré2.
Ces rachats ne sont pas seulement des investissements, mais aussi un moyen d’imprimer sa marque, comme se le permet au grand jour un Bolloré. Mais cela se fait aussi de manière plus diffuse, par la reproduction d’une vision du monde partagée entre propriétaires, directions, voire journalistes. Une vision où la grève est une « prise d’otage », où les colères sociales sont réduites à des « débordements », et où l’on ne parle presque jamais d’« exploitation ». Les chaînes publiques ne sont pas en reste : encore récemment, un documentaire sur la guerre d’Algérie a été déprogrammé de France Télévisions en pleine crise diplomatique avec Alger3.
La presse sert donc aussi à influencer l’opinion publique en faveur des classes dirigeantes. C’est ce qu’elle a fait lors de la Première Guerre mondiale où elle multipliait non seulement des mots d’ordre nationalistes et belliqueux, mais des mensonges grossiers pour envoyer les travailleurs français se battre contre les travailleurs allemands… Une pratique dénoncée dans les livres scolaires d’histoire… mais qui n’a pas pour autant cessé, comme dans le cas de la première guerre d’Irak de 1990-1991 (voir notre article dans ce dossier).
La presse sert aussi de caisse de résonance aux débats politiques internes à la bourgeoisie. La large circulation de l’information est indispensable à la bourgeoisie pour s’organiser politiquement et économiquement. Le journal Les Échos l’illustre bien : il fournit aux milieux d’affaires une information spécialisée et fiable. Cela leur permet d’affiner leurs stratégies et donc d’affûter leurs armes dans la concurrence économique, mais aussi contre les travailleurs, car l’un ne va pas sans l’autre dans la recherche perpétuelle du moindre coût.
C’est en ce sens que l’on parle de presse bourgeoise. Non parce que tous les journalistes sont des bourgeois, mais parce que ce qui s’y dit s’inscrit dans une logique de justification de l’ordre social.
C’est pour cette raison que le mouvement ouvrier s’est toujours doté d’une presse indépendante, tout en utilisant la presse bourgeoise (qui dispose de moyens nettement plus conséquents) pour son rôle clé dans la collecte et la circulation des informations. Mais la partialité de cette dernière apparaît tellement que ceux qui la rejettent sont de plus en plus nombreux. Sans pour autant se tourner vers la presse du monde du travail : la partialité de la presse bourgeoise a ouvert la voie aux discours complotistes. Ce dossier propose de remettre la critique sur ses pieds : nul besoin de puissance occulte pour comprendre qui forge l’attitude des médias, simplement de capitalistes !
Martin Castillan
1 Source : « Médias français, qui possède quoi ? », Le Monde diplomatique. Les deux seules exceptions sont L’Équipe, dont les propriétaires sont « seulement » multimillionnaires, et l’Humanité, le journal du PCF.
2 Voir le documentaire « Hollande et les médias, la grande trahison », de Off Investigation (disponible sur YouTube). Le documentaire tend à inverser le rapport de forces réel entre Hollande et les milliardaires, mais est très éclairant sur le rôle de l’État dans le contrôle des médias.
3 Yunnes Abzouz, « À France Télévisions, la déprogrammation d’un documentaire sur la guerre d’Algérie sème l’émoi », Mediapart, 12 mars 2025