
Depuis près de six mois, un mouvement social massif secoue la Serbie, après la mort de 15 personnes dans l’effondrement d’une gare le 1er novembre 2024. Depuis, la mobilisation met en difficulté le régime corrompu du président Aleksandar Vučić, qui en est à son deuxième vaste mouvement de contestation en moins de deux ans. Un Premier ministre a déjà sauté !
« Vous avez du sang sur les mains ! »
Déjà en 2023, un fait divers dramatique avait mis le feu aux poudres. À la suite de deux fusillades meurtrières, des manifestations avaient paralysé Belgrade durant dix semaines, contre la « culture de la violence », les liens du gouvernement avec la mafia et ses dérives autoritaires.
L’effondrement mortel de la gare de Novi Sad a soulevé des problèmes plus profonds encore : le manque d’investissement, la corruption, et l’impunité quasi certaine des responsables de l’accident. La gare avait été rénovée en amont des élections de 2022, le gouvernement clamant l’avoir « remise aux standards européens »…
Les manifestations ont d’abord été lancées par les étudiants. Après l’agression d’un manifestant devant la faculté d’art à Belgrade, un mouvement d’occupation des universités a démarré. Sous le slogan « Vous avez du sang sur les mains ! », c’est devenu le plus large mouvement de contestation depuis la « révolution des bulldozers1 » qui avait renversé Milošević en 2000.
Un mouvement « citoyen »…
Les manifestations à Belgrade, dépassant les 100 000 participants, se sont rapidement élargies à des dizaines d’autres villes, dont des fiefs du « Parti progressiste » de Vučić. Le 28 janvier, le Premier ministre a dû démissionner – un ravalement de façade, puisque le nouveau gouvernement annoncé le 15 avril reprend exclusivement des figures connues.
Les occupations d’universités restent au cœur du mouvement, qui a cependant reçu un soutien large dans la société serbe, y compris dans les milieux ouvriers. Le 24 janvier, les étudiants ont appelé à une grève générale, suivie dans quelques milieux : la culture, les médias, ainsi que dans l’éducation. Des catégories de la petite bourgeoisie, comme les pharmaciens ou les agriculteurs – ces derniers visibles par leurs tracteurs dans les manifestations – se sont saisies du mouvement, pendant que des cafés ou bars ont marqué leur soutien par des distributions alimentaires aux manifestants. Du personnel des hôpitaux a aussi débrayé sur le parcours des manifestations, et les travailleurs des transports publics de Belgrade ont formulé des revendications. Mais c’est surtout dans l’éducation – en grève rampante à épisodes réguliers depuis des mois – qu’un mouvement de grève important s’est lancé début mars, défiant les lois sur le « service minimum ».
… qui s’ancre dans le paysage
Le 15 mars, une nouvelle manifestation a réuni près de 300 000 personnes – l’une des plus grandes de l’histoire du pays. Le gouvernement a riposté en utilisant un canon sonore contre les manifestants, des images qui ont fait le tour du monde et ont annoncé un tournant répressif : interventions policières et arrestations dans les facs occupées, annonce de la reprise des cours en visio, propagande sur les « agents étrangers », retraite anticipée pour des parents d’activistes étudiants.
Le gouvernement joue le pourrissement, mais les occupations persistent. Les étudiants s’organisent en assemblées générales ou « plenums ». Ces cadres ont diffusé en partie au-delà des facs. Sous la bannière de la démocratie directe, des « plenums » de quartiers, d’enseignants, ou de parents d’élèves se réunissent. Pendant la grève des enseignants, qui a pris fin ces dernières semaines, ils ont de fait pris la place des syndicats. Très peu du goût du président Vučić, qui a traité les « plenums » de cadres « obsolètes et bolchéviques ». Peut-être bolchéviques, et loin d’être obsolètes !
À noter que sur le plan international, ni la Russie de Poutine avec laquelle Vučić affiche une certaine proximité politique, ni les responsables de l’Union européenne vers laquelle des manifestants regardent, n’accordent d’appui à ce vaste mouvement. Les responsables du monde impérialiste n’aiment pas ce qui bouge !
Dima Rüger, 25 avril 2025
1 Référence à un épisode lors duquel un manifestant a chargé le bâtiment de la radio et télévision publique de Serbie, considéré comme un symbole de la propagande du gouvernement, avec du matériel lourd de construction.
Pour s’informer plus et suivre les évolutions, le podcast Serbia in focus fait par des étudiants mobilisés offre des informations régulières et proches des occupations de facs en langue anglaise.
