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Exposition : Disco, I’m coming out

Exposition
Disco, I’m coming out
Philharmonie de Paris, jusqu’au 17 août 2025, entrée 15 €

Les paillettes et les boules à facettes sont mises à l’honneur à la Philharmonie de Paris à l’occasion d’une exposition sur la musique disco. C’est une véritable immersion dans le monde des discothèques des années 1970 : playlist mixée jouée en permanence, piste de danse, photos, costumes, instruments de musique, le tout dans une esthétique pop éclairée par des néons.

L’exposition retrace les débuts du disco qui tient ses origines dans les communautés afro-américaines et latinos aux États-Unis, dont l’histoire est directement liée à celle des luttes pour les droits civiques, les droits des femmes et des homosexuels. Ces mêmes personnes qui se retrouvaient en clubs clandestins, sujets à des descentes de police (rappelant le contexte des émeutes de Stonewall en 1969), se retrouvaient déjà dans la rue. On suit ensuite sa démocratisation et finalement son déclin, marqué par des évènements comme la Disco Demolition Night1 et les idées réactionnaires notamment promues par Reagan2. Les ravages du sida en sont également un facteur important.

Conçue comme une expérience immersive avant tout, on peut regretter la superficialité des informations de l’expo. Bien qu’elle mette en avant les origines du disco, ethniques et politiques, leurs intrications avec la musique disco ne sont qu’évoquées. On reste sur notre faim, mais pas sur notre envie de danser !

Ainhoa Bosc

(Article paru dans Révolutionnaires no 29)
 

 


 

 

Pour accompagner notre présentation de l’exposition « disco » à la Philharmonie, quelques éléments (sujets à discussion) concernant la dimension sociale et politique, et la musique elle-même.

Question musique, le disco a succédé à la soul musique (elle-même héritière du gospel et du rhythm’n’blues) et le funk.

Dès le début des années 1970, l’essor des night-clubs ou discothèques new-yorkaises (encouragé par les nouvelles techniques d’amplification du son) a poussé une nouvelle génération de DJ (après ceux des radios qui se contentaient de jouer des disques) à remixer en direct morceaux soul (à l’origine destinés à la seule communauté afro-américaine) issus de disques vinyles sortis indépendamment du mouvement disco émergent.

Les premiers hits disco (dont le rythme rapide à quatre temps bien marqués se distingue du rythme plus syncopé du funk) sont donc des « remixes » de morceaux de soul music afro-américaine (dus, en grande partie, à ce que l’on nomme la Philly Soul, originaire de Philadelphie).

Progressivement, ce rythme caractéristique du disco se développe, tout en conservant des « conventions » de la soul music : harmonies vocales à plusieurs voix, dont la voix typique de falsetto (voix la plus aiguë du registre masculin), violons, section de cuivres, etc.

Au départ assez confidentiel, le succès de cette musique et de ses discothèques va attirer la jet-set du show business, par exemple au sein du fameux Studio 54 de New York. Avec la sortie du film La Fièvre du samedi soir (1977), c’est l’explosion mondiale du disco et… sa fin : le genre devient une pompe à fric pour les maisons de disque. Les artistes s’y mettent de plus en plus nombreux, à commencer par des producteurs européens : français (Cerrone, Village People, Patrick Hernandez, Patrick Juvet, Sheila, Dalida), allemands (Boney M., Silver Convention) et italiens (avec l’italo-disco au tournant des années 80).

Pour faire le lien avec la dimension « politique » du disco, l’exemple du personnage incarné par John Travolta (acteur vedette de La Fièvre du samedi soir) montre bien l’ambigüité d’un genre « codé » : les Afro-Américains et Portoricains d’origine sont bien plus caractéristiques du disco que le « rital » assez macho du film (même si celui-ci s’insurge contre le racisme qui règne dans les concours de danse, à l’encontre des Noirs et des Portoricains).

Les initiateurs du disco sont tous gays. Tout part en effet des émeutes du Stonewall Inn, bar américain de New York, en 1969 : les flics new-yorkais font une descente dans ce club (appartenant à la mafia italo-américaine) où la communauté gay et lesbienne organise des soirées dansantes et ça tourne à l’émeute, ces derniers et dernières ne se laissant pas faire facilement (avec des flics blessés au cours de l’émeute). À l’époque, l’homosexualité est encore un délit pénal en France comme aux États-Unis.

Par la suite, fêtards, DJ et musiciens gays vont être les fers de lance de ce qui deviendra le mouvement disco. Il faut noter que les musiciens afro-américains concernés (contrairement aux DJ) n’ont manifestement pas à l’époque fait leur « coming out », comme on dit aujourd’hui. Il s’agit donc d’un mouvement dont la nature gay est bien connue, voire portée en étendard par ses protagonistes (les DJ et clients des night-clubs), mais qui reste cachée ou ignorée du grand public.

Après les gays, certaines chanteuses afro-américaines, qu’on pourrait appeler les divas du disco, ont aussi profité du mouvement pour affirmer un discours d’émancipation féminine, auparavant assez absent de la soul music (même s’il existe quelques contre-exemples avec certains morceaux d’Aretha Franklin ou Nina Simone dans les années 1960).

En effet, à l’époque, les hommes qui ont porté des revendications d’émancipation sociale, voire anticoloniale dans le funk ou la world music (par exemple James Brown, Fela Kuti ou Bob Marley) restent des figures très machistes.

Enfin, une drag queen comme l’américain Sylvester devient une des égéries du mouvement disco.

Le disco est tellement à la mode que l’US Navy contacte les producteurs du morceau In The Navy du groupe Village People afin d’utiliser ce morceau pour leur nouvelle campagne de recrutement : les producteurs demanderont (et obtiendront !) le droit de tourner leur clip à bord d’un porte-avions de l’armée, avec des croiseurs de guerre au fond sur la mer.

Pour la (triste) petite histoire, Victor Willis, dernier membre vivant des Village People, vient de rétropédaler après l’élection de Trump : il y a trois ans encore il voulait lui intenter un procès pour l’utilisation en campagne de l’hymne gay « YMCA » [en référence à la Young Men’s Christian Association]. Désormais, cela ne lui pose plus aucun problème, au point qu’il est même allé donner un concert à son investiture.

Comme toujours, la fin des années 1970 voit différents mouvements blancs (assez rock) s’opposer à la mode du disco, une forme de contre-révolution qui culmine à Chicago avec un raout anti-disco tenu dans un stade où l’on brûle des tonnes de disques disco.

Depuis, les musiciens de la house music (Chicago), de la techno de Detroit, de nu-soul, d’électro, et même parfois de rap, n’ont cessé de revenir à la source du disco, qu’on ne cesse de recycler depuis près de vingt ans.

Pierre Emmanuel

 

 


 

 

1  « Nuit de la destruction du disco », le 12 juillet 1979 à l’issue d’un match de baseball à Chicago, des vinyles sont détruits à l’aide d’explosifs et des émeutes se déclenchent. Le public était essentiellement blanc et masculin, et protestait contre la musique disco et ce qu’elle représentait.

2  Ronald Reagan, président des États-Unis de 1981 à 1989.