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Face aux fortes chaleurs : interview d’un conducteur de car dans les Pyrénées-Orientales

Marc (le prénom a été modifié) est conducteur de cars scolaires depuis plusieurs années à GEP Vidal, filiale de Keolis comptant deux cents salariés et opérant dans le département des Pyrénées-Orientales. Dans cette zone du pays, où les vagues de chaleur, y compris en juin, deviennent un phénomène récurrent, il nous raconte à quoi lui et ses collègues sont confrontés.

Quels ont été les impacts de la canicule de juin sur vos conditions de travail et sur les conditions de transport des enfants ?

La dernière canicule de juin est la troisième que nous vivons sur les six dernières années. Un tiers du parc roulant n’est pas climatisé. En juin 2019 et juin 2022, les tableaux de bord de certains de nos cars affichaient régulièrement plus de 40 °C et jusqu’à 57 ! Ces températures provoquent bien évidemment des malaises chez les collègues comme chez les enfants que nous transportons : hausse brutale de tension, maux de tête. Les directrices d’écoles maternelles font état de diarrhées et de vomissements après leur arrivée à l’école. Difficile de cerner l’ampleur du phénomène, car la direction est dans une stratégie de négation du problème : la médecine du travail a pris fait et cause pour elle et jure par exemple que les symptômes observés chez des collègues et des enfants n’ont pas à voir avec la chaleur à bord des cars.

Il y a une pression forte, d’une part à rouler coûte que coûte, comme cette fois où la direction avait préventivement fait appeler l’encadrement directement chez les collègues pour leur dire que les fortes chaleurs ne sont pas un motif recevable de droit de retrait, d’autre part à ne pas se déclarer en accident du travail mais en arrêt maladie classique quand le corps lâche. Nous sommes clairement poussés à supporter l’insupportable : des collègues conduisent avec des serviettes de plage sur les épaules. On alerte depuis plusieurs années la direction d’entreprise, le conseil régional, qui est responsable de l’organisation des transports collectifs, les associations de parents d’élèves. On voudrait que les choses changent avant qu’un accident grave ne se produise.

Quelles sont vos revendications ?

La direction fait distribuer des brumisateurs, de manière plus aléatoire des bouteilles d’eau. Elle nous a fait tester un gilet refroidissant, qui s’est avéré trop lourd à porter et qui ne règlerait de toute manière pas les problèmes des passagers. Elle donne quinze minutes de pause en plus au dépôt le temps de se rafraîchir et d’aérer un peu les cars entre deux rotations. Mais ça ne suffit clairement pas.

C’est un ensemble de mesures qu’il faudrait pour limiter la hausse des températures à bord : que les cars ne stationnent pas dans les dépôts en plein soleil, qu’ils soient tous climatisés, que les effectifs à la maintenance soient suffisants pour l’entretien et la gestion de ces clim’. La direction se défausse sur le conseil régional, en disant que la climatisation des cars n’était pas requise dans le cahier des charges de l’appel d’offres. La région rétorque que c’est l’entreprise qui a la main sur ses cars [NDLR : contrairement aux appels d’offres dans le ferroviaire, la propriété du matériel roulant n’est pas transférée à la région mais reste aux différentes entreprises exploitantes.] L’entreprise dit qu’elle ne va pas climatiser les cars, alors que le prochain appel d’offres est dans deux ans et qu’elle n’est pas sûre de le remporter. La région refuse d’intégrer l’obligation de climatisation dans le prochain appel d’offres… Bref, chacun joue sa partition en se renvoyant un peu la balle.

En juin dernier, on a trouvé très douteux que, contrairement à la préfecture du Gard, celle des Pyrénées-Orientales n’ait décrété aucun jour de fermeture des écoles au vu des températures extrêmement élevées et des conditions d’accueil dans les écoles et les maternelles, à peine meilleures que dans nos cars.

Le 5 juillet, une grève majoritaire des conducteurs de bus de Transdev Occitanie Littoral a eu lieu à Montpellier pour dénoncer les conditions de travail en période de canicule. Le syndicat CFDT référençait 25 bus non climatisés où les températures atteignaient 45 °C. Est-ce que tes collègues ont suivi cette grève et qu’en ont-ils pensé ?

Des contacts ont été pris avec les conducteurs de bus de Montpellier. Leurs problèmes faisaient écho aux nôtres et on voulait leur témoigner notre soutien. Ils verraient d’un très bon œil une mobilisation coordonnée avec nous, mais dans ma boîte on n’en était pas tout à fait là, même si la conscience grandit que face à ces situations auxquelles nous confrontent la direction et les autorités, il faudra en passer par la mobilisation collective et compter avant tout sur nous-mêmes pour faire bouger les choses.

 

 

>Retrouvez notre article : Fortes chaleurs dans les transports : quelles perspectives de classe pour faire face aux conséquences du réchauffement climatique ?