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Gilets jaunes : une explosion de colère qui a fait date

La rapidité avec laquelle l’appel à « tout bloquer » le 10 septembre s’est répandu et, surtout, le fait qu’il n’émanait pas des organisations syndicales ont rappelé à beaucoup, à commencer par Macron et ses ministres, les débuts du mouvement des Gilets jaunes.

Il faut dire que ce mouvement a donné quelques sueurs froides à un Macron dont l’arrogance et, surtout, les mesures avaient exaspéré les classes populaires. Face à la hausse des taxes sur les carburants, le 17 novembre 2018, des centaines de milliers de personnes ont endossé un gilet jaune et occupé les ronds-points un peu partout, surtout à la périphérie des villes petites et moyennes. Un signe de reconnaissance présent dans tous les véhicules et un lieu de rassemblement propice aux discussions, à l’organisation d’actions décidées localement : le mouvement avait su trouver des formes originales qui tranchaient sur le ronron des mobilisations syndicales.

Rapidement, les Gilets jaunes ont convergé vers les grandes villes dans de grandes manifestations les week-ends : mais rien à voir avec les manifestations habituelles ! À Paris, le 24 novembre, « l’Acte II » du mouvement a envahi les Champs-Élysées à Paris. Rapidement, Macron a fait machine arrière sur la taxe sur les carburants… Trop tard ! Le mouvement était passé à autre chose et mettait en avant des revendications sociales : pouvoir d’achat, conditions de travail, organisation de la société !

Imprévisible, sans tabou sur les moyens de lutte, naturellement organisé dans des formes qui poussaient aux débats, aux discussions sur quoi faire, suivies de décisions immédiatement mises en œuvre : tel a été ce mouvement qui a conquis le cœur d’une bonne partie des classes populaires et a été observé partout, les images des mobilisations faisant le tour du monde à la télé. Pas de palabres inutiles, donc : discussions, décisions, actions, un cocktail d’une efficacité redoutable.

À se retrouver, à force d’analyser l’état du mouvement, les réponses du pouvoir, les Gilets jaunes ont commencé à refaire le monde dans des assemblées recherchant ce que pourrait être la meilleure organisation de la société. Mais sans voir que l’organisation même dont ils s’étaient dotés pouvait constituer la base d’une démocratie directe : des dizaines de Gilets jaunes regroupés sur des dizaines de milliers de ronds-points représentaient une force militante énorme, un point de départ montrant que les travailleurs sont capables de tout contrôler dans la société ! Les discussions se sont enlisées sur l’expression de la « volonté populaire » par voie de référendum – le fameux RIC, référendum d’initiative citoyenne, qui cantonnait les discussions dans le cadre d’institutions compatibles avec la société capitaliste. Autre limite du mouvement, les attributs patriotiques – drapeau tricolore, Marseillaise – qui ont montré que, si le mouvement des Gilets jaunes était incontestablement un mouvement des classes populaires dont les aspirations étaient sociales, il ne s’est jamais placé consciemment sur ce terrain-là.

De fait, si les travailleurs ont constitué le plus gros des effectifs des Gilets jaunes, le mouvement n’a envahi les entreprises à aucun moment, la production elle-même n’a jamais été bloquée et le mouvement n’a pas pénétré les usines en tant que telles.

Au début souvent hostiles aux bureaucraties syndicales – qui le leur ont bien rendu ! –, les Gilets jaunes ont veillé jalousement à ne pas se doter de structures « verticales ». Même les tentatives de coordination nationale des Gilets jaunes (janvier 2019, première Assemblée des assemblées à Commercy, puis une deuxième en avril à Saint-Nazaire, une troisième en juin à Montceau-les-Mines et une quatrième en novembre à Montpellier) en sont restés à une « horizontalité » empêchant le mouvement de se structurer au niveau national, ce qui aurait ouvert la possibilité de proposer une politique à l’ensemble des classes populaires au-delà des manifestations.

Cela dit, malgré ces limites, le mouvement des Gilets jaunes est devenu une référence pour tout le monde. Pour les nantis, mais aussi les bureaucraties syndicales, une référence de ce qui est à craindre. Un point de départ pour tous ceux qui pensent que seule la mobilisation des travailleurs peut changer le monde.

Jean-Jacques Franquier

 

 


 

 

À quelques jours du 10 septembre : les articles parus dans Révolutionnaires no 40