
Dans la nuit du 10 au 11 juillet 1985, il y a quarante ans, une explosion secouait le navire de l’association écologiste Greenpeace, le Rainbow Warrior, dans le port d’Auckland en Nouvelle-Zélande. Le navire coulait, et un photographe membre de l’équipage mourait noyé suite à une deuxième détonation, peu après la première. Dans les jours qui ont suivi, le scandale a éclaté : loin d’être un accident, il s’est agi d’une attaque meurtrière directement perpétrée par l’État français, prêt à tout pour protéger ses intérêts dans le Pacifique.
Suite à une évacuation symbolique des habitants d’îles de l’atoll Bikini, site d’essais nucléaires américains pendant des décennies, le Rainbow Warrior était en effet en route pour l’atoll de Mururoa en Polynésie française, où la France effectuait des essais nucléaires réguliers, en surface puis sous-marins depuis 1974. L’objectif des militants écologistes était de pénétrer dans la zone militaire restreinte pour perturber les essais.
Dès l’explosion mortelle, la Nouvelle-Zélande lance une commission d’enquête, qui incrimine les services secrets français. Le gouvernement de gauche de Mitterrand et Fabius nie en bloc, avant d’avouer quelques mois plus tard, en septembre que « Ce sont bien les services secrets qui sont derrière cette attaque terroriste ». Deux plongeurs militaires français ont placé des mines avec des détonateurs à retardement sur le navire. La puissance nucléaire de l’impérialisme français ne tolère pas de perturbations de ses essais nucléaires, qui se déroulent – en plus de leur menace pour la planète – au détriment de la santé des populations polynésiennes et de l’environnement. Quarante ans avant les affabulations « d’éco-terrorisme » de Darmanin, l’État français est déjà prêt à recourir au terrorisme d’État pour intimider, voire se débarrasser de militants gênants. Il faudra attendre 1996 pour qu’enfin cessent les essais nucléaires en Polynésie. Près de 200 bombes nucléaires, environ 110 000 personnes exposés à la radiation, un écosystème dévasté… et comme seul compensation, l’aveu timide de Macron d’une « dette » de la France. Dette morale évidemment, les victimes n’ayant jamais reçu la moindre compensation.
Les deux agents ayant posé les bombes sont d’abord condamnés à des peines de prison par la justice néo-zélandaise, mais rapidement libérés sous la pression française pour rentrer au pays… et recevoir une promotion. Au niveau supérieur, le chef de la DGSE et le ministre de la Défense (le socialiste Charles Hernu) démissionnent. Mais Mitterrand, qui a vraisemblablement autorisé l’attentat d’après les mémoires du chef de la DGSE, reste en place. Grand homme de l’impérialisme français, il aura encore l’honneur de présider au massacre de la grotte d’Ouvéa en Kanaky en 19881, et au soutien français au génocide au Rwanda en 1994, avant de prendre sa retraite paisible.
Dima Rüger, 12 juillet 2025
À noter qu’à l’occasion de ce triste « anniversaire », la chaîne LCP a diffusé un documentaire de 2018, intitulé Les mensonges de l’Histoire – 1985: Le Rainbow Warrior, disponible jusqu’au 23 août en replay sur la médiathèque en ligne de France TV.
1 Suite à une prise d’otage du groupe indépendantiste kanak, le FLNKS, la gendarmerie française tue 21 personnes, dont deux des otages, lors de la tentative de libération des otages. Ironie du sort, le voilier avec lequel les agents de la DGSE prennent la fuite après l’attentat, porte le nom… Ouvéa !