Le Collectif des mineurs non accompagnés s’est constitué à Rouen en novembre dernier. Vendredi 14 mars, nous avons rencontré trois délégués du collectif et l’une de leur soutien, Cécile.
Qu’est-ce qui vous a amené à créer ce collectif et combien de jeunes y militent aujourd’hui ?
Délégué 1 : nous étions plusieurs à nous dire que ce que nous vivions, subissions, était injuste, que nous étions victimes de préjugés, de racisme. Nous refusons de devenir une génération de sans-papiers. Alors, pour faire bouger les choses, nous avons décidé de nous regrouper et d’agir ensemble. Nous avons vu qu’il existait d’autres collectifs de mineurs, notamment celui de Paris qui organise des occupations de lieux pour mettre en avant notre situation.
Aujourd’hui, nous sommes une quarantaine à faire partie de ce collectif rouennais.
Délégué 2 : au mois de janvier, nous avons décidé de rencontrer le collectif parisien. Cela nous a permis de bien nous renseigner sur nos droits, on a aussi participé au regroupement des collectifs des différentes villes, qui aide à la création de nouveaux, et, surtout, permet d’unifier nos actions. Au printemps, cinq ou six délégués de Rouen iront à Lille pour une rencontre entre la dizaine de collectifs qui existe.
Comment intervenez-vous ?
Délégué 1 : on veut rendre visibles nos situations, rétablir les vérités sur qui nous sommes (certains ont fui des guerres ; d’autres des violences, y compris familiales, etc.). On peut faire des manifestations, des occupations de lieux et, ensuite, on essaie de négocier avec la préfecture. Dès qu’on est face à la préfecture, on explique notre situation, pourquoi on est là, et aussi à la population qui pense que « tout va bien pour les migrants ».
Délégué 2 : le collectif a besoin et compte sur le soutien matériel, financier et militant des organisations de Rouen.
Quelles sont vos principales revendications ?
Délégué 3 : il y a trois axes essentiels : l’hébergement, la santé et la scolarisation. Aucun de nous n’est scolarisé, on a passé nos tests au Casnav1 et on n’a pas encore de retours.
Est-ce que vous pouvez nous parler de l’accueil et de l’entretien d’évaluation réalisé par l’ASE (l’aide sociale à l’enfance) ?
Délégué 1 : lorsque l’on se présente au conseil départemental pour passer les évaluations, nos droits ne sont déjà pas respectés. Ils devraient nous indiquer nos droits, les démarches à effectuer et aussi ce que l’on ne doit pas faire, avoir en tête la présomption de minorité… Ils ne le font jamais. On raconte nos histoires, les cauchemars vécus… mais ceux qui nous reçoivent n’ont aucune empathie. Ils sont juste là pour trouver une erreur dans nos propos et justifier leur rejet de reconnaissance de minorité.
Au niveau de l’hébergement, on est hébergés chez B&B Hôtel. Les éducateurs passent la nuit, ouvrent les portes sans frapper et vérifient si tu es là : aucun respect de la vie privée, aucune intimité. Par contre, ils ne mettent pas en place de suivi médical, psycho, administratif. Ils te donnent une liste d’associations à contacter et c’est tout !
Trois jours après ils te disent « prends tes affaires », tu dois aller au Caps2. Ils te disent « appelez le 115 », demandez une mise à l’abri. En fait, ils veulent nous disperser, nous diviser, nous invisibiliser !
Conformément aux règles, est-ce que l’ASE propose un interprète aux non francophones ?
Délégué 3 : pour moi, ils m’ont convoqué à midi et je suis passé à 14 heures. Ils m’ont dit : « l’interprète va vous traduire » et c’est tout. L’entretien dure 1 heures 30. Ils te reposent tout le temps les mêmes questions sur ta vie dans ton pays d’origine, les relations avec ta famille, reviennent sur les dates pour te pousser à dire une erreur et à justifier leur refus.
Délégué 2 : ils essaient de déterminer ta minorité en fonction de ta vie avant au pays. Ils trouvent toujours quelque chose : ta posture n’est pas celle d’un enfant ; tu es habillé proprement ou tu t’exprimes trop bien en français, c’est louche ! Les éducateurs rapportent : « Il fait son lit, range sa chambre, étrange pour un enfant de 16 ans. »
Délégué 1 : à Rouen, sur mon groupe de 17, seulement 3 ont été reconnus mineurs. Les autres passent par les recours, les tests osseux. Mais ceux qui sont reconnus après de longs mois ont alors 17 ans et 4 mois, ou 17 ans et 6 mois. Trop tard pour la plupart des accompagnements. Ils reçoivent du pain, des yaourts mais n’ont pas accès à la scolarisation.
On a constaté que l’ASE est beaucoup plus dure avec les jeunes de l’Afrique subsaharienne.
En plus, l’ASE remplit très mal les demandes de titres de séjour. Ils n’aident pas, ne soutiennent pas les jeunes dans leurs démarches.
Cécile :Vous vous inscrivez dans le cadre de la journée internationale contre le racisme et le fascisme du 22 mars ?
Délégué 1 : oui, nous faisons beaucoup de diffusions unitaires de tracts pour appeler à la manifestation du 22 mars. On reçoit un bon accueil. Nous serons présents au concert organisé par RESF le 20 mars et nous ferons une prise de parole. Nous espérons être nombreux à la manifestation du 22 mars, c’est important et on sera en tête de manifestation avec une banderole offerte par des organisations.
Lien vers la page Instagram du collectif : https://www.instagram.com/collectif_de_rouen
1 Le Casnav est le dispositif de l’Éducation nationale chargé d’évaluer et d’orienter les élèves allophones qui arrivent sur le territoire français.
2 Le Caps est un dispositif associatif local d’aide d’urgence pour les personnes sans logement ni revenu.