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Indonésie : des clichés d’une ère de révolte populaire à l’ouverture d’une séquence ouvrière dans l’archipel ?

Manifestation à Yogyakarta, le 1er septembre 2025. Source : wikipedia

Ces derniers jours, les images des émeutes dans les principales villes d’Indonésie ont fait le tour des milliers d’îles de l’archipel régional, puis celui du monde sur les réseaux sociaux. Le gouvernement en place a dû restreindre l’usage de l’internet et bannir les lives Tiktok. Le problème en cause ? La peur changeait de camp. Les images de Parlements attaqués, de commissariats occupés et de résidences de député ou ministre pillées montraient non seulement une révolte contre le pouvoir en place, mais aussi que des dizaines de milliers de manifestant passant à l’action directe et, comme le proclament des groupes étudiants protestataires sur leurs réseaux et leurs banderoles, qui détiennent leur propre pouvoir exercé lors les émeutes. Comment en est-on arrivé là ? Quelles perspectives pour le prolétariat ? Quelques réflexions à partir des quelques informations actuellement disponibles sur les réseaux.

Armée, développement et classe ouvrière

Le 14 juillet dernier, l’Indonésie ou plutôt sa bourgeoisie, son État et son armée étaient à l’honneur dans les festivités des Champs-Élysées où 450 de ses guerriers ont paradé devant Macron et les télés. Prabowo sinistre boucher et fasciste autoproclamé à la tête du pays était invité spécial. Un partenaire particulier susceptible d’acheter en grande quantité des Rafale de Dassault, des classes Scorpène de Naval Group et d’autres joyeusetés faisant de l’armée indonésienne le second client des marchands de mort français en Asie (derrière l’Inde de Modi)1. Ce sont d’ailleurs les hélicoptères made in Airbus ou les Famas qui permettent à l’armée indonésienne d’imposer sa dictature sur la Papouasie. Quelques mois avant cette invitation à l’Élysée, Macron se rendait à Java pour pratiquer un karaoké douteux avec la chanteuse Anggun sur l’air de Comme d’habitude.

La politique de Macron s’inscrit dans la continuité de celle de Hollande qui, déjà, terminait son mandat présidentiel par une visite à Java. À l’époque, un grand patron français s’enthousiasmait : l’Indonésie, « c’est une pépite encore trop cachée… Si seulement les perspectives offertes par ce pays pouvaient convaincre les Français de cesser d’être perpétuellement obsédés par la Chine… ». Et de fait la forte croissance économique de ces dernières décennies a permis l’émergence en Indonésie d’une classe ouvrière nombreuse dans l’industrie manufacturière, gazière et pétrolière, les mines de charbon ou les services. L’archipel de près de 300 millions d’habitants est une destination prisée pour exporter des capitaux et des marchandises et son économie censée s’en être bien sortie au milieu des difficultés à l’après-crise de 2008 puis dans les convulsions liées à la pandémie. Il y avait plus de 5 % de croissance dans l’archipel l’année dernière2. Un score satisfaisant mais moindre que celui de pays comme le Vietnam ou le Bangladesh réussissant légèrement mieux à attirer les entreprises délocalisant leurs activités industrielles chinoises.

Depuis des années, les dirigeants indonésiens affirment vouloir attirer ces entreprises, ce que l’Indonésie peine parfois à faire malgré les quantités importantes de capitaux américains ou japonais investis dans le pays et susceptibles de se multiplier en raison des rivalités sino-américaines. C’est d’ailleurs la justification essentielle de multiples attaques contre la classe ouvrière d’Indonésie notamment incarnées par une législation d’ensemble dite « Omnibus » ou « Création de marché de l’emploi » que les étudiants qui les contestaient ont abrégée en « exécrable » en 2020. L’objectif de ces lois : réduire des protections salariales – limitées – sur le temps de travail, supprimer des salaires minimums des congés, maternité, des indemnités de licenciement, faire passer des grandes entreprises pour des petites pour échapper aux législations (il y aurait 75 % de micro-entreprises dans le pays). Liste non exhaustive, mais qui indique bien l’objectif général. S’y ajoute une réduction des protections législatives de l’environnement, notamment des forêts ravagées par des incendies et les exploitations minières. Depuis, les investissements dans l’archipel ont fait exploser la production de nickel, d’étain ou de bauxite au point que le 50 % du nickel mondial est extrait sur place contre 5 % il y a dix ans3, et l’État indonésien constitue d’immenses fonds souverains basés sur des entreprises publiques qui n’ont rien à envier à ceux des pays du Golfe ou de Singapour.

Les travailleurs et travailleuses, et plus largement la population d’Indonésie, ne se sont pas laissé faire. L’actualité des années 2010 a été marqué par des grèves et manifestations régulières et parfois nombreuses. À l’été-automne 2019, des manifestations étudiantes massives ont été le lieu d’une opposition à des lois réactionnaires criminalisant les relations hors mariage, l’avortement et d’autres mesures contre la liberté d’expression. Jokowi, le président indonésien de l’époque qualifié par la presse d’ici – non sans ironie – de « centre gauche », avait dû reculer face à la jeunesse scolarisée. Puis l’année suivante, c’est-à-dire en pleine épidémie, de multiples grèves, manifestations et émeutes à l’été-automne 2020 avaient poussé la Cour constitutionnelle indonésienne à déclarer illégale la législation « exécrable » détruisant le droit du travail et de l’environnement. Le ministre de l’Économie de l’époque avait dû s’engager à ce qu’aucun salaire ne soit baissé avant de reprendre la main via des manœuvres législatives. Si les salaires réels n’ont dans l’ensemble pas augmenté depuis 2018, de multiples luttes ont parfois poussé les patrons indonésiens à des délocalisations internes à l’archipel. Avec un tiers de la population vivant avec moins d’un dollar et demi par jour tandis que l’argent des riches coule à flot, la situation est explosive. Oxfam indique que dans l’archipel 1 % de la population possède 45 % de la richesse nationale… ce serait « seulement » 24 % en France.

L’État autoritaire contesté depuis un an… et en difficulté depuis une semaine

L’année dernière, pour faire face à la dernière séquence électorale, les oligarques dirigeants l’Indonésie ont d’ailleurs dû augmenter les budgets sociaux dans des proportions inédites pour obtenir un soutien électoral. 32 milliards de dollars d’« aides sociales » supplémentaires ont été versés. La participation a été de plus de 80 % et le candidat représentant les intérêts du pouvoir en place a obtenu 59 % des voix. Qui a été élu ? La situation est à la fois complexe et très simple. En 2019, un slogan abstentionniste anti-Jokowi et anti-Prabowo populaire chez les étudiants – « Voter pour un, le deuxième offert » – résume assez bien la chose. En 2014, Jokowi est élu président. Il incarne une forme de modernité face à la prépondérance de l’armée et des forces religieuses musulmanes réactionnaires. Puis les élections de 2019 donnent lieu à des émeutes contre sa réélection organisées par ses adversaires et des forces conservatrices, notamment islamistes (dont une partie a aussi été cooptée par Jokowi) qui montrent des capacités de mobilisation importantes. Puis Jokowi nomme Prabowo (alors son principal concurrent) comme ministre de l’Intérieur. Puis Jokowi soutient directement Prabowo en 2024 au point de proposer son propre fils comme colistier du général Prabowo. Ce dernier est le gendre de Suharto dictateur pro-américain dont la famille a accumulé plus de 70 milliards de dollars durant son règne. Si Prabowo est trop jeune pour avoir eu un rôle décisif dans les massacres de centaines de milliers de militants communistes indonésiens (dans l’ensemble pro-chinois) en 1965-1966, il était commandant des forces spéciales sous la dictature, directement associé dans les tueries et famines organisées du Timor oriental (au moins 200 000 morts sur une population d’un million d’habitants), puis en Papouasie, puis dans la répression (tortures, viols, massacres) des contestations populaires de 1998… qui l’avaient à l’époque chassé du pouvoir.

Malgré ce triomphe électoral des principales figures politiques du pays en 2024, les jeunes et les plus pauvres ont quand même moins voté pour le sanguinaire Prabowo et à l’été dernier les contestations politiques ont repris de plus belle. Cette opposition à l’ensemble d’un système politique népotique et corrompu s’est matérialisée au mois d’août 2024 lorsque des étudiants ont contesté la candidature anticonstitutionnelle du plus jeune fils de Jokowi à la mairie de Jakarta et une réforme électorale antidémocratique. L’épouse du fils de Jokowi, Erina Gudono, une ancienne top-model devenue banquière, était alors surnommée Marie Antoinette. Face à un mouvement massif et subversif, Prabowo avait dû à ce moment-là lâcher la famille de Jokowi. Puis certaines structures syndicales ont à nouveau contesté les lois résumées sous l’acronyme « exécrable » à l’hiver.

Surtout, des coupes budgétaires ont suscité une forte opposition. Si les étudiants ont directement contesté les budgets de l’éducation, l’attaque a été d’ensemble. La tentative de Prabowo est de baisser de 20 % le budget de l’État… En comparaison, Bayrou et Barnier passeraient presque comme des défenseurs des administrations et services publics. Sous Prabowo, le ministère du Travail perdait 57 % de ses moyens, les universités 40 %, les écoles 20 %. Plus d’eau gratuite, plus d’air conditionné et parfois plus d’électricité pour les salariés du public et des licenciements massifs dans le cadre de non-renouvellement des contrats courts. Une énorme attaque sur une fraction plutôt privilégiée de la classe ouvrière ayant une certaine garantie de l’emploi et de son niveau de revenu. Le tout s’opérant dans le cadre d’une explosion des licenciements dans le secteur privé et d’une forte colère populaire. Le cas de la ville de Pati à Java est un exemple parlant. Pour faire face aux coupes budgétaires centrales, les politiciens du coin décident d’augmenter de 250 % les prélèvements locaux obligatoires. Le gouverneur local, Sudewo, défie les protestataires à la mi-août : « Allez-y, manifestez. Ne vous contentez pas de mobiliser 5 000 personnes, rassemblez-en 50 000. Je n’ai pas peur. » Il a finalement dû reculer devant la mobilisation de 100 000 personnes (sur une ville d’un peu plus d’un million d’habitants)4.

L’arrogance des politiciens n’ayant pas de limites, Prabowo amnistiait dans le même temps un ancien ministre dans une affaire de corruption. Puis les députés bénéficièrent d’augmentations de salaire de près de 2500 euros (dix fois le salaire minimum à Jakarta) qui s’ajoutent à leurs multiples privilèges et à des salaires déjà élevés. La goutte d’eau en trop a fait tout déborder. Et les contestations ont repris, plus fortes que jamais. Les appels à manifester ont été nombreux. Surtout, ils n’ont pas été lancés par les syndicats étudiants mais sur les réseaux sociaux et ont mobilisé de nombreux lycéens n’ayant pas peur d’affronter la police.

Dans un premier temps, les manifestations ont eu lieu à Jakarta, où, lundi dernier, des milliers de lycéens et étudiants avec leurs uniformes ont tenu en respect la police durant de nombreuses heures notamment grâce au soutien d’une partie de la population de la ville. Des centaines d’arrestations n’ont fait qu’amplifier le nombre des manifestants se ralliant aux cris d’« À bas le Parlement ». La police commet alors une erreur et tue Affan, chauffeur de moto-taxi travaillant via une plateforme numérique. Les travailleurs des plateformes se joignent alors massivement aux manifestations et affrontent la police en tenue de travail tout en se rendant massivement à l’enterrement de leur collègue. Le QG de la police du sud de Jakarta est occupé plusieurs heures tandis que les manifestations s’étendent dans de nombreuses villes où bâtiments administratifs, résidences officielles et parlement régionaux sont pris pour cible, parfois envahis et souvent incendiés. Un résumé sans doute descriptif a été formulé par l’ambassade britannique s’adressant aux touristes pratiquant le yoga et autres activités à Bali : « Évitez toutes les manifestations, les rassemblements étudiants et les meetings politiques car sans avertissement ils peuvent devenir violents. »

Dans le weekend, des parlements régionaux et maisons de parlementaires sont directement attaqués parfois au cri de « Révolution ». À Jakarta notamment, au moins quatre résidences luxueuses ont été envahies, dont celle de la ministre des Finances. Les émeutiers y ont volé des voitures de luxe, des montres, des costards, des réfrigérateurs et appelé la population indonésienne à suivre leur exemple sur TikTok. Alors que les réseaux sociaux montraient des policiers être désarmés, perdre le contrôle de leurs véhicules, et devoir reculer devant les foules, il s’agissait d’images mettant en cause le pouvoir de classe et ridiculisant des politiciens. Des émeutiers se sont même permis de voler les chats d’un député honni. Un acte pas tout à fait anodin dans un contexte où Prabowo avait bâti son image de président en affichant son chat sur les réseaux, au point d’ailleurs de présenter sa bête sobrement nommée Bobby Kertanegara (nom d’un vieux souverain javanais) à Macron lors de sa visite officielle il y a quelques mois.

Exfiltration des figures impopulaires, retour de l’ancien régime ou révolution sociale ?

Le parti politique des députés aux résidences vandalisées n’a pas soutenu ses membres qui ont été suspendus de leur fraction parlementaire sous la pression populaire. Prabowo et le chef de la police de Jakarta ont présenté leurs excuses et condoléances lors de l’enterrement d’Affan et même promis des sanctions pour ses meurtriers. Annulant une visite en Chine, Prabowo a tenté de réunir les élites politiques autour de lui en rassemblements les dirigeants des partis et leaders d’associations religieuses musulmanes. La tactique n’est pas nouvelle. La coalition autour de Prabowo rassemble plus de 80 % des députés nationaux et les deux tiers des gouvernements régionaux. S’il y a aujourd’hui sans doute peu de possibilités d’alternance, avec ou sans Jokowi et Prabowo un ravalement de façade est toujours envisageable. Hier, Prabowo accompagné de principaux dirigeants des partis politiques du pays, dénonçait les manifestants comme des traitres et des terroristes mais annonçait réduire les salaires des députés et limiter l’usage de fonds publics visant à leur assurer une vie fastueuse.

Pour le moment, les principales cibles des manifestants semblent être les députés et les policiers. À Java, depuis quelques jours, l’armée elle-même a semblé rester plus ou moins neutre dans les affrontements en cours. Dans ce qui peut être vu sur les réseaux sociaux, c’est au cri « vive l’armée » que le commandant militaire de Jakarta est accueilli lorsqu’il se rend à l’occupation du commissariat de Jakarta vendredi dernier. Plus globalement des vidéos montrent des militaires portant assistance aux manifestants à Java. Si on peut espérer que le Acab soit aussi populaire qu’au Caire en 2011, il n’est encore pas synonyme d’une prise de conscience généralisée sur le rôle de l’appareil d’État. Dans les consciences, les choses peuvent aller très vite mais une partie des manifestants, notamment étudiants, doivent ces derniers jours se battre à l’intérieur des manifestations pour en chasser les militaires, condition sine qua non à l’affirmation d’une indépendance politique du mouvement en cours voire à la construction des organes de pouvoir populaire qui entreraient nécessairement en confrontation avec l’appareil d’État5.

Si des mobilisations massives de travailleurs sur les lieux du travail pourraient changer la donne, les syndicats ne sont pas des alliés. Pour éviter de se mêler aux jeunes « anarchistes », les dirigeants syndicaux ont appelé à des manifestations le matin pour canaliser la révolte de leurs membres, diviser le mouvement et combattre les émeutes. Cela n’a rien de surprenant. Le Premier mai dernier l’essentiel des dirigeants syndicaux organisaient un meeting commun avec Prabowo, le chef de la police, le chef de l’armée (et d’autres pontes du régime) afin d’affirmer leur soutien au régime. Parmi eux, une des principales figures du Labour Party, Said Iqbal, qui avait notamment animé des luttes contre les lois « exécrables »6. Finies ces contestations, et à la tribune face à 200 000 personnes, Iqbal affirmait à Prabowo le soutien de 90 % des travailleurs de l’archipel tandis que ce Prabowo ajoutait tranquillement : « Nous voulons abolir les externalisations et délocalisations d’emplois. Mais, mes amis, nous devons également être réalistes et tenir compte des intérêts des investisseurs. S’ils n’investissent pas, il n’y aura pas d’usines et vous n’aurez pas d’emplois. »

Faisant face à cette manœuvre grossière, d’autres forces militantes ont évidemment organisé un autre rassemblement dans le cadre d’une coalition nommé Gebrak (mouvement ouvrier de gauche avec le peuple) pour contester Prabowo et ses politiques et comme l’ont fait de nombreux militants dans diverses villes du pays pour dénoncer l’armée et le capitalisme. Aujourd’hui cette coalition syndicale met en avant une plateforme résumée dans les éléments suivants : « Arrêter la violence des autorités contre les manifestants, supprimer les impôts pour le peuple et appliquer des impôts progressifs pour l’élite, réduire les équipements et les revenus des hauts fonctionnaires de l’État » auxquels on pourrait notamment ajouter l’expression d’une solidarité avec les populations de Papouasie7. Des revendications exprimant sans doute les aspirations d’une partie (nombreuse ?) des manifestants mais ne posant qu’indirectement la question du pouvoir politique. En axant ses prises de position sur le terrain « démocratique », l’Indonesian Women’s Alliance semble sous bien des aspects sur des positionnements similaires8. Des programmes peut-être en dessous de la situation.

En face, si Prabowo et ses alliés sont prudents depuis quelques jours c’est sans doute parce qu’ils étaient allés très loin ces derniers mois. Au point que la presse progressiste s’alarmait ces derniers temps de la fin d’une période celle des réformes ou Reformasi. En cause, le retour de plus en plus important des militaires sur la scène politique, des attaques contre la presse et plus généralement le recul des libertés politiques bénéficiant notamment aux classes moyennes des principales îles9. Pour le dire autrement, bien que confronté à de multiples contestations, le pouvoir en place cherche à refermer la séquence ouverte en 1998 lorsque les mobilisations populaires chassèrent Suharto du pouvoir. Le processus démocratique s’est arrêté à mi-chemin en 1998 et les anciens du régime s’en sont, à l’image de Prabowo, pas si mal sortis voire ont renforcé leur domination sur l’archipel en renouvellant les formes prises par l’exercice de leur pouvoir. Ceci étant, les trente dernières années ont aussi été celle de la conquête de certaines libertés démocratiques limitées (type libertés syndicales ou académiques bien que le marxisme soit toujours interdit) ou encore de programmes sociaux (type assurance maladie sous Jokowi) ou de quelques droits dans les entreprises dont la bourgeoisie indonésienne se sent suffisamment confiante pour se débarrasser. Les étudiants en lutte au début de l’année 2025 avaient significativement surnommé leur mobilisation « Dark Indonesia » pour souligner l’ouverture de cette nouvelle ère d’obscurité.

Pour autant qu’il soit possible d’en juger au vu des informations disponibles, les contestations de ces dernières années, semaines et jours s’opèrent sur deux terrains : celui du pouvoir politique (hostilité à la violence policière, contestation des parlementaires voire de l’ensemble d’un système politique fondé sur le fric, le népotisme et l’héritage de la dictature de Suharto et même hostilité aux réactionnaires religieux) et, dans une moindre mesure, celui des inégalités sociales voire de l’exploitation salariale. Bien qu’il n’y ait pas encore de mobilisations massives de travailleurs ou de pauvres au nom d’intérêts de classe et de groupes organisés proposant leur politique à l’ensemble des classes populaires voire une direction susceptible de peser sur les évènements, sur ces deux enjeux la classe ouvrière a un programme à proposer10. Un petit exemple pourrait être donné par les travailleurs des plateformes au nombre de quatre millions dans le pays et dont une partie est à l’avant-garde des mobilisations ces derniers jours. Durant l’épidémie, sans faire confiance aux structures syndicales corrompues, ces derniers avaient organisé une cinquantaine de grèves sauvages groupant des dizaines de milliers de travailleurs, s’étalant souvent sur plusieurs jours et parfois victorieuses11. À l’heure actuelle, l’armée et les forces religieuses conservent peut-être une forte influence, mais quoi de plus favorable que les événements de ces derniers jours pour que la classe ouvrière se constitue en force politique indépendante… et révolutionnaire ?

1er septembre 2025, Chris Miclos

 

 

1  https://www.iris-france.org/lindonesie-un-partenaire-strategique-pour-la-france-en-indo-pacifique/

2  https://newleftreview.org/issues/ii148/articles/rohana-kuddus-indonesia-s-dynastic-webs

3  https://www.statista.com/topics/12572/mining-industry-in-indonesia/#topicOverview

4  https://jakartaglobe.id/news/mass-protest-in-pati-erupts-in-chaos-lawmakers-launch-impeachment-inquiry

5  Voir les arguments « élémentaires » que doivent aujourd’hui avancer les militants qui se réclament du socialisme en Indonésie comme Sagra membre du Socialist Study Circle : « L’armée n’est pas avec le peuple » : https://www.arahjuang.com/2025/08/30/tentara-tidak-bersama-rakyat/ Voir la plateforme défendue par cette organisation l’année dernière aux élections : https://www.indoleft.org/analysis/2024-01-18/a-political-manifesto-for-the-2024-indonesian-general-elections.html

6  Ce Labour Party fondé par des syndicats il y a quelques années avait suscité beaucoup d’illusions. En l’absence d’une gauche organisée dans l’archipel, il semblait mettre en avant des problématiques sociales lors des élections… avant de se rallier à Prabowo. Sur cette organisation, voir par exemple : https://labourreview.org/labour-party-indonesia/ ou https://www.indoleft.org/statements/2024-05-22/evaluating-the-labour-party-leaderships-maneuvers-building-real-class-politics.html ou encore ce commentaire de Jacques Chastaing l’année passée : « En Indonésie, où les élections ont lieu en février [2024], la marche vers l’indépendance politique du prolétariat a pris un autre chemin. Dans un contexte où les organisations syndicales nées de la période qui a suivi la chute assez récente de la dictature sont relativement jeunes et combatives, elles ont choisi de s’unifier dans un parti politique ouvrier commun face à la menace d’un général sanguinaire dans les prochaines élections qui pourraient être les dernières encore un peu démocratiques. Ainsi, ce Parti ouvrier n’accepte que des candidatures politiques d’ouvriers de base menant des luttes revendicatives. Depuis novembre 2023, il mêle dans sa campagne électorale les grèves qu’il multiplie, y compris générales, pour notamment une augmentation des salaires de 15 % et contre un projet de loi cassant les principaux acquis du droit du travail, avec la campagne électorale proprement dite, associant comme jamais les combats économiques de rue et les combats politiques électoraux, bien en avant de ce que fait par exemple ici, LFI. » https://aplutsoc.org/2024/01/08/2024-annee-historique-pour-la-marche-du-proletariat-vers-son-independance-politique-et-son-auto-organisation-par-jacques-chastaing/

7  Voire l’entièreté de la plateforme et la liste des syndicats qui se rattachent à cette orientation : https://www.arahjuang.com/2025/08/31/pernyataan-sikap-aliansi-gerakan-buruh-bersama-rakyat-gebrak-hentikan-kekerasan-aparat-terhadap-massa-aksi-demonstrasi-cabut-pajak-untuk-rakyat-dan-berlakukan-pajak-progresif-untuk-elit/ voir aussi ces divers articles : https://www.indoleft.org/term/GEBRAK

8  https://internationalviewpoint.org/spip.php?article9149

9  Voir par exemple le positionnement de cette coalition de la « société civile » : https://www.indoleft.org/statements/2025-08-11/militarism-and-impunity-pose-serious-threat-to-democracy-security-reform.html

10  Un troisième enjeu serait peut-être les questions environnementales qui au vu de la configuration de l’archipel sont nécessairement des questions de classe. Ce sont les pauvres qui subissent la montée des eaux à Jakarta et la destruction des forêts pour ne prendre que les deux exemples principaux dont parle la presse occidentale.

11  https://mulpress.mcmaster.ca/globallabour/article/view/5310