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Indonésie : interdiction du drapeau de Luffy (One piece), symbole de révolte

Fin juillet, une myriade de drapeaux pirates a fleuri en Indonésie pour protester contre la corruption. En effet, un scandale de corruption touche de plein fouet la compagnie pétrolière publique Pertamina – selon 20 Minutes, cela aurait coûté à l’État plus de 12 milliards de dollars entre 2013 et 2018. Et l’actuel président de la République, Prabowo Subianto – ancien général accusé de violations des droits humains lors des manifestations étudiantes de 1990 – a décidé, le 1er août, de gracier 1 100 détenus, dont deux responsables politiques condamnés justement pour corruption.

Le drapeau étendard de la bronca contre l’État, utilisé pour éviter la censure, est un symbole de liberté et de lutte contre l’injustice. Il est arboré par l’équipage de Luffy dans One Piece, le célèbre manga japonais. Ces derniers sont les personnages principaux de l’œuvre, des combattants pour la liberté, qui sont entraînés à affronter l’ordre mondial pour la gagner. Pour toute une frange de la population indonésienne, Luffy est un héros, se rangeant du côté des peuples opprimés dans sa quête de liberté. Mais visiblement, le régime indonésien ne semble pas du même avis, puisqu’il a déclaré illégal le port du drapeau. C’est la panique à la tête de l’État ! Le vice-président de la Chambre des représentants indonésienne, Sufmi Dasco Ahmad a estimé qu’« exhiber ce drapeau vise à déstabiliser la nation ». Rien que ça !

Et que fait le gouvernement actuel pour combattre la corruption, raison pour laquelle il est lui-même remis en question ? Il nomme vice-président le fils de Jokowi, ancien président, qui se retrouve lui-même ministre de la Défense ! Rien d’étonnant à ce que les Indonésiens se reconnaissent dans une œuvre où la famille dirigeante est critiquée comme parasite ! Mais le gouvernement indonésien ne s’arrête pas là, puisqu’il s’est aussi attaqué à la « commission d’éradication de la corruption » (KPK), chère aux yeux de la population qui y voyait un espoir. Cet organe, censé combattre la corruption, avait été gagné lors des manifestations de 1998. S’y attaquer par des coupes budgétaires ou en renvoyant son président, tout un symbole ! Une manière de faire comprendre qui impose sa loi. Mais cet événement est resté en travers de la gorge des Indonésiens, et c’est même une des raisons du mouvement One Piece. Le KPK étant déjà insuffisant en lui-même, l’abattre ou le contrôler complètement, c’est clairement une provocation. D’ailleurs, ce gouvernement a des raisons tout à fait légitimes de s’inquiéter pour son sort. Il suffit de se rappeler la fin des années 1990 : Suharto, le président d’un régime qui avait gouverné plus de trente ans, avait été renversé par des manifestations étudiantes massives. La raison de ces manifestations : l’exaspération de la population face à la corruption du gouvernement.

Par ailleurs, ce n’est pas un hasard si le drapeau de Luffy est un symbole de protestation contre le gouvernement. Un régime n’est ni inébranlable ni éternel. Armée de cette précieuse idée et de l’expérience qui a renversé Suharto, l’épidémie des drapeaux pirates annonce peut-être un mouvement de masse à venir !

Gilles Peletier