Nos vies valent plus que leurs profits

Italie : le changement ne sortira pas des urnes

En Italie, les 8 et 9 juin, les électeurs étaient appelés à voter sur cinq référendums. À l’origine de cette initiative, on trouve la CGIL, principale confédération syndicale italienne, et un certain nombre de partis et d’organisations de centre-gauche, dont le Parti démocrate. Alors qu’il y a quelques mois, son secrétaire général, Landini, avait menacé le gouvernement de « révolte sociale », la CGIL a fait campagne avec le slogan « Le vote est notre révolte ». Dans un tract, elle écrivait : « Nous avons tous la possibilité de modifier immédiatement la législation sur le travail, pour le rendre plus stable, plus digne et plus sûr. Il suffit d’aller voter . » (Ce qui n’est pas sans rappeler Mélenchon promettant, au moment de la réforme des retraites, qu’en l’élisant on s’épargnerait des kilomètres de manifestation).

La Constitution italienne dispose en effet qu’à la demande de 500 000 électeurs, le président de la République doit organiser un référendum portant sur l’abrogation, totale ou partielle, d’une loi. Pour l’emporter, le « oui » doit non seulement être majoritaire, mais il faut que le quorum soit atteint, c’est-à-dire qu’au moins 50 % plus un des inscrits sur les listes électorales participent au vote. Une condition bien difficile à atteindre.

La CGIL dit avoir obtenu, pour sa part, cinq millions de signatures, et de nombreux militants se sont mobilisés dans la campagne référendaire pour appeler leurs voisins ou leurs collègues de travail à aller voter.

Sur les cinq référendums, l’un prévoyait que la durée de séjour pour qu’un étranger puisse demander la nationalité italienne soit ramenée de dix à cinq ans.

Les quatre autres concernaient le droit du travail :

  • abrogation de la disposition de la loi dite « Jobs act » de Mateo Renzi (ancien secrétaire du Parti démocrate), datant de 2015 qui avait supprimé l’article 18 du Code du travail donnant la possibilité à un juge d’ordonner la réintégration d’un salarié dont le licenciement était considéré abusif, à condition que celui-ci travaille dans une entreprise comptant au minimum 15 salariés en CDI ;
  • dans les entreprises de moins de 15 salariés, liberté laissée aux juges de fixer des indemnités de licenciement supérieures au montant de six mois cumulés prévu par la loi ;
  • rétablir l’obligation pour l’employeur de justifier le recours aux contrats à durée déterminée ;
  • reconnaissance de la responsabilité de l’entreprise employant des sous-traitants en cas d’accidents de travail.

Toutes revendications en somme bien modérées, la seule possibilité de ces « référendums abrogatifs » étant, au mieux, de revenir à la situation antérieure…

Bien qu’édulcorées, les mesures contenues dans ces référendums visant à abroger, au moins en partie, certains reculs imposés à la classe ouvrière ces dernières années, il était donc bien normal que les travailleurs cherchent à s’en saisir en votant « oui ». D’autant plus que les partis d’extrême droite et droite au gouvernement avaient appelé à s’abstenir.

Une défaite annoncée

Comme le prévoyaient tous les sondages, aucun des référendums ne l’a emporté, faute d’avoir obtenu le quorum nécessaire (il aurait fallu pour cela qu’au moins 25 651 609 électeurs se rendent aux urnes, ce qui était plus qu’improbable). Si les quatre référendums sur le droit du travail ont obtenu un peu plus de 88 %, et celui sur la citoyenneté 65 %, il n’y a eu que 30,5 % de votants (14,5 millions).

La direction de la CGIL, qui prétendait vouloir exprimer la volonté de changement, a en réalité conduit la colère dans une impasse, en prenant de plus le risque que l’échec des référendums démoralise les travailleurs. Car le vote n’est en aucun cas un moyen pour la classe ouvrière d’exprimer sa révolte, contrairement au slogan trompeur de la campagne.

Les partis de droite au gouvernement exultent parlant d’un « échec historique » des promoteurs du référendum, tandis que Landini déclare : « Nous voulions changer les lois, nous n’avons pas réussi. » Cela n’empêche pas la gauche de donner rendez-vous aux partisans du changement… aux prochaines élections, en cherchant à faire oublier que des lois anti-ouvrières ont été prises par tous les gouvernements qui se sont succédé, quelle qu’ait été leur étiquette politique.

On peut certes envisager de demander l’organisation de référendums sur des sujets d’intérêt général concernant l’ensemble de la population, mais même dans ce cas, la victoire électorale n’est nullement une garantie. Dans le passé, des référendums portant sur des questions comme la privatisation de l’eau ou le nucléaire, avaient vu une forte participation des électeurs, sans que les gouvernants n’en tiennent aucun compte par la suite. Car la mobilisation électorale ne suffit pas à influencer les choix politiques.

Mais pour quelle raison les travailleurs devraient-ils accepter de soumettre leurs intérêts propres à l’arbitrage de référendums dont le résultat dépend d’une partie de la population qui n’est nullement concernée ? Alors que les travailleurs immigrés se trouvent, eux, exclus de la consultation. Les travailleurs n’ont aucune raison de considérer l’échec des référendums comme une défaite… Pour cela encore faudrait-il qu’il y ait eu une vraie bataille. C’est rôle de tous les défenseurs de la pseudo-démocratie bourgeoise, tous les marchands d’illusions, de faire croire aux travailleurs qu’un bon vote pourrait suffire à changer leur sort. Mais la révolte sociale, la vraie, la nécessaire riposte générale aux attaques patronales n’aura lieu que sur le seul terrain qui leur est favorable, celui des luttes.

Thierry Flamand