
Le conclave de Bougival, où, à l’initiative de Macron, le gouvernement avait enfermé les négociateurs « loyalistes » – entendez les représentants des colons d’extrême droite – et indépendantistes, conduits par le député FLNKS Emmanuel Tjibaou, a abouti à un accord le 13 juillet.
Le gouvernement et les négociateurs se félicitent d’un accord « équilibré ». Mais, sur place, bien des militants kanak ont accueilli la signature comme une trahison.
L’accord prévoit en effet un élargissement du corps électoral – de 16 000 à 20 000 résidents français en Nouvelle-Calédonie accéderaient au droit de vote aux élections locales. C’est ce projet, décidé par Macron l’an dernier, qui a été à l’origine des émeutes qui ont embrasé l’archipel à partir du 13 mars 2024. Cela, joint à une plus grande autonomie des provinces, aboutirait à rendre les Kanak encore plus minoritaires sur leurs terres. En particulier dans la province Sud – la plus riche, celle où se trouve la capitale Nouméa –, où, déjà minoritaires aujourd’hui, ils seraient marginalisés. La province Sud verrait d’ailleurs sa représentation dans l’Assemblée locale renforcée.
La chef de file des colons d’extrême droite, Sonia Backès, présidente de la province Sud, milite depuis longtemps pour une sécession : la province Sud resterait colonie française, tandis que le reste de l’archipel, bien plus pauvre, serait abandonné aux Kanak. La plus grande autonomie accordée aux régions, en particulier en matière fiscale, préserverait cette possibilité d’évolution. Toujours dans l’accord, l’abandon du référendum d’autodétermination, pourtant garanti par les règles internationales, au profit d’une consultation « non binaire » en février 2026.
On peut donc se demander ce qu’il y a dans cet accord qui a fait signer les représentants des indépendantistes ! La « contrepartie » de ces abandons est la création d’un État de Nouvelle-Calédonie lié à la France, avec l’existence d’une double nationalité : calédonienne et française. Un État qui « pourrait » être reconnu par les autres États… Mais un État privé des compétences en matière de défense, de monnaie, de justice et de sécurité. Que reste-t-il ? La possibilité d’avoir des flics locaux (ce que chaque commune a déjà…) et la maîtrise de ses relations internationales. Traduction : la possibilité d’envoyer des représentants dans les instances internationales, et même des représentations diplomatiques. Les représentants kanak seraient comme ces généraux de pacotille, disposant d’uniformes étincelants, mais surtout pas d’armée !
Certes, la possibilité que soient transférées ces compétences dites « régaliennes » est prévue dans l’accord, mais uniquement si elles sont réclamées par l’Assemblée locale et à la majorité des deux tiers. Autant dire qu’avec le renforcement de représentation de la province Sud et l’élargissement du corps électoral, cela ne risque pas de se produire !
Bref, l’accord consacre de facto les positions des loyalistes. Pour ceux qui en douteraient, un juriste proche d’eux, Éric Descheemaeker, explique sur sa page Facebook : « Une revendication indépendantiste marginalisée, pas de référendums, un transfert des compétences régaliennes qui reste une pure virtualité que personne ne réclame. » Et l’avenir pourrait faire évoluer la situation encore plus dans ce sens : « La seule façon de s’en sortir, c’est de refaire venir du monde en Nouvelle-Calédonie et leur donner le droit de vote. C’est ça le projet », expliquait dans une réunion publique un des signataires loyalistes de l’accord, Gil Brial, cité par Mediapart.
Ainsi, les colons d’extrême droite obtiennent toutes les garanties qu’ils souhaitaient, avec comme seule contrepartie la promesse de « postes » honorifiques pour la mince couche privilégiée kanak dont les accords de Matignon de 1988 et ceux de Nouméa de 1998 avaient déjà permis le développement.
L’État français met du fric dans la balance : une façon aussi de profiter de la crise économique et sociale qui sévit en Nouvelle-Calédonie pour créer des clivages au sein du camp indépendantiste, divisé sur l’attitude à avoir par rapport aux aides financières sans lesquelles l’économie de l’archipel tourne au ralenti. L’État français est grandement responsable de cette crise, puisque c’est lui qui a causé les émeutes pendant lesquelles de nombreuses installations ont été détruites. De toute façon, l’argent qu’injectera l’État servira avant tout à relancer des entreprises que les émeutes de l’an dernier avaient mises à mal et qui appartiennent pour l’essentiel aux colons.
Reste qu’aucun des problèmes des populations kanak ne sera réglé, dans une vie faite de chômage et de pauvreté voisinant la richesse insolente de colons arrogants, dans une vie faite des humiliations quotidiennes qui sont le lot de ceux dont les terres ont été accaparées par la violence coloniale.
Faut-il rappeler que les émeutes de l’an dernier ont éclaté parmi les jeunes des cités, kanak, mais aussi îliens ou vietnamiens, à l’avenir bouché ? Les organisations indépendantistes avaient eu du mal à canaliser le mouvement de révolte face aux provocations de Macron.
Il n’est pas dit que la satisfaction affichée par les négociateurs et le gouvernement ne se heurte à l’opposition de la jeunesse et, plus généralement, de la population pauvre de l’archipel. L’État français a d’ailleurs pris la précaution de maintenir sur place les milliers de flics et gendarmes dépêchés pour y faire régner par la violence l’ordre colonial. De même qu’il garde en otage en métropole les principaux dirigeants indépendantistes comme Christian Tein, mais aussi des dizaines de jeunes répartis dans les prisons métropolitaines, à 10 000 km de chez eux.
Jean-Jacques Franquier