Nos vies valent plus que leurs profits

Le fléau de la drogue, symptôme d’une société malade de ses injustices

Six mille personnes ont participé, samedi 22 novembre, à la « marche blanche » organisée à la mémoire de Mehdi Kessaci, ce jeune de 20 ans assassiné à Marseille. Ce crime avait d’autant plus de raison de soulever une vague d’indignation qu’au-delà de lui (ou peut-être à sa place), c’est son frère Amine qui semblait visé. Ce dernier, militant politique et associatif, menait un combat contre les caïds du narcotrafic.

En 2020, c’était un autre de leur frère, Brahim, qui avait été abattu et son corps retrouvé calciné dans une voiture. C’est depuis cette date qu’Amine mène son combat contre la drogue dans ces quartiers nord de Marseille, quartiers pauvres et délaissés de la ville.

En 2023, 49 personnes ont été tuées à Marseille, 24 l’an dernier, fruits de règlements de comptes autour du marché de la drogue. Ces drames se passent le plus souvent dans l’indifférence politique, l’ancien maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, répétait qu’il n’y avait pas de problèmes « tant qu’ils se tuent entre eux ! ». Les victimes ne sont pas les gros bonnets, mais, bien souvent, des jeunes qu’ils utilisent pour faire le guet ou fourguer la marchandise.

Or, ce n’est pas aux petites mains que s’en prend l’association d’Amine, mais aux gros qui les emploient. Les politiciens qui se sont précipités à la marche n’avaient, eux, que les mots « sécurité, police, répression » à la bouche. À commencer par Gérald Darmanin, accouru flanqué du ministre de l’Intérieur, Laurent Nuñez, pour se flatter de combattre « avec la plus grande force » ce « terrorisme » qui viserait à « atteindre la République et l’État ». « L’État ne doit pas avoir la main qui tremble » était le couplet du maire de Marseille, Benoît Payan, qui s’empressait de revendiquer des effectifs de police supplémentaires Et le chef de file du PCF, Fabien Roussel, ne voyait à dénoncer que les restrictions budgétaires qui ne font que « désarmer les services de l’État » au lieu de « voter des crédits pour embaucher des policiers, des douaniers, des magistrats ».

Mais les causes du mal sont bien ailleurs, ce que dénonce sans mâcher ses mots le journaliste Philippe Pujol1 dans une tribune du journal Libération du 21 novembre : « Le narcotrafiquant est le meilleur ennemi du pouvoir. Il est votre moyen imparable pour cacher vos manquements, le méchant absolu qui vient s’en prendre à la République. La maladie à combattre. La réalité est pourtant bien pire : le trafic de stupéfiants est le symptôme d’une société détraquée. Le symptôme, pas le mal. »

Car c’est bien l’injustice de la société, avec des jeunes qui ne voient d’autre avenir que le chômage, alors que pour d’autres l’argent est roi, qui explique non seulement le recrutement facile par les grands du banditisme d’une main-d’œuvre pour leur trafic, mais aussi l’existence d’une clientèle dans ces quartiers délaissés, dans lesquels la drogue est devenue un véritable fléau.

24 novembre 2025, Olivier Belin

 

 

1  Philippe Pujol auteur de plusieurs livres sur les quartiers pauvres de Marseille, ses problèmes de chômage, de jeunesse délaissée et de drogue, dont notamment La Fabrique du monstre, édition Points, 2017.