Le 1er mai 1886 à Chicago, aux États-Unis, un mouvement de grève est lancé pour revendiquer la journée de huit heures. Deux jours plus tard, une manifestation dégénère lorsqu’une bombe explose. Trois militants anarchistes sont condamnés à la prison à perpétuité, cinq autres sont pendus. Ces événements vont faire du 1er mai un symbole international de la lutte des travailleurs pour la réduction du temps de travail.
En 1889, la Deuxième Internationale consacre le 1er mai comme journée mondiale de mobilisation pour les huit heures. Son congrès d’Amsterdam en 1904 rendra systématiques les grèves et les manifestations chaque année à cette date.
Après la Première Guerre mondiale, cette Internationale désormais ralliée à l’ordre bourgeois tente d’endiguer la vague révolutionnaire par tous les moyens : parfois par la force, parfois en négociant une « paix sociale » avec la bourgeoisie. Est alors adoptée la loi sur les huit heures, dès le début de la révolution allemande en novembre 1918, et en France en avril 1919. Le 1er mai devient jour férié et chômé, afin d’éviter une grève et de désamorcer une démonstration de force.
À la suite, Hitler proclame le 1er mai 1933 « journée nationale du travail », avant de dissoudre les syndicats dès le lendemain. Le maréchal Pétain transforme la fête des travailleurs en « fête du travail et de la concorde », remplaçant l’églantine rouge du mouvement ouvrier par le muguet. Après la guerre, le Parti communiste au gouvernement – qui interdit alors les grèves, qualifiées « d’arme des trusts » – perpétue cette tradition en maintenant le 1er mai comme jour férié.
Mais le 1er mai a aussi été violemment réprimé. Dès 1891, à Fourmies dans le Nord, neuf manifestants sont tués par la police lors d’un rassemblement pour les huit heures. À partir de 1954, les défilés sont interdits à Paris, jusqu’au 1er mai 1968. Plus récemment encore, le 1er mai 2019, en plein mouvement des Gilets jaunes, la manifestation parisienne est attaquée avant même son départ. Le ministre de l’Intérieur qualifie les manifestants, réfugiés dans un hôpital pour se protéger des gaz lacrymogènes, de « casseurs ».
Le 1er mai s’inscrit ainsi, année après année, comme un moment central des mobilisations sociales de printemps – et pas seulement en France. À Istanbul, la place Taksim est devenue emblématique depuis le 1er mai 1977, lorsqu’une manifestation syndicale fut attaquée par l’extrême droite, avec la complicité de l’État : 36 personnes furent tuées. Depuis, les manifestations y sont interdites presque chaque année, provoquant des affrontements récurrents. Une brève parenthèse d’autorisation entre 2010 et 2012 sera suivie d’une nouvelle interdiction en 2013 – déclenchant le mouvement de Gezi, une occupation de la place qui secouera profondément le régime d’Erdoğan.
Le 1er mai est souvent décrit dans la presse bourgeoise comme une espèce de rituel de la gauche, mais c’est surtout une tradition héritée du combat de générations entières d’ouvrières et d’ouvriers du monde entier, des conquêtes arrachées et des répressions violentes. Chaque année, il rappelle que les droits ne tombent jamais du ciel, ils se gagnent dans la rue.
Barnabé Avelin