Lundi 24 février, pour le troisième anniversaire de la guerre provoquée par l’invasion russe de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky a salué « Trois ans de résistance. Trois ans de gratitude. Trois ans d’héroïsme absolu des Ukrainiens ». Un « héroïsme » qui n’est cependant pas supporté de la même manière selon le côté de la barrière sociale où l’on se trouve !
Différentes sources syndicales et politiques (entre autres l’interview d’un syndicaliste enseignant par l’Unsa, l’interview d’une militante ukrainienne publiée par la revue Inprecor) nous aident à comprendre la difficile situation des classes populaires aujourd’hui en Ukraine.
Des salaires de misère, rongés par l’inflation
L’Ukraine est un des pays les plus industrialisés d’Europe, et pourtant l’un de ceux où les salaires sont les plus bas. Le salaire moyen y est inférieur à 400 euros ; le Smic inférieur à 200 euros. Pour comparaison, en Bulgarie, le pays membre de l’Union européenne dans lequel le salaire minimum est le plus faible, le Smic est de 477 euros… plus de 2,5 fois celui de l’Ukraine.
Les retraités vivent dans une situation catastrophique. Si la pension moyenne est de 112 euros, 4 millions de personnes perçoivent en réalité une pension entre 48 et 73 euros, et 2,5 millions entre 73 à 97 euros. Sans compter la situation catastrophique des retraités qui vivent dans les zones sous occupation russe : la poste ukrainienne ayant cessé d’y travailler, ils n’ont bien souvent plus accès à leurs pensions. Dans certaines régions, l’armée russe oblige les retraités à accepter un passeport russe pour obtenir une pension en roubles !
Or, depuis le début de la guerre, les prix n’ont cessé d’augmenter. En 2022, l’inflation était de 20 % ; en 2023 de 13 %. Selon des sources syndicales, un panier d’épicerie pour un mois coûterait 45,79 euros tandis que l’ensemble des dépenses incontournables s’élève à environ 78 euros.
Le système éducatif laissé à l’abandon par l’État ukrainien
Alors que les principales fortunes du pays n’ont pas été mises à contribution pour participer à l’effort de guerre, l’État ukrainien a taillé dans les budgets des services publics vitaux, notamment l’Éducation et la Santé. Usagers et travailleurs de ces services publics se retrouvent donc pris en étau entre d’un côté des attaques ciblées de l’armée russe, et de l’autre un total abandon par l’État.
Selon un rapport de l’Unicef d’août 2023, les enfants d’Ukraine subissent une perte généralisée des apprentissages. Une majorité des 6,7 millions d’Ukrainiens âgés de 3 à 18 ans sont laissés dans l’incapacité d’apprendre. Jusqu’à 57 % des enseignants signalent une détérioration des connaissances des élèves en langue ukrainienne, et 45 % une diminution des compétences en mathématiques. Seul un tiers des enfants en âge de fréquenter l’école primaire et secondaire suit un enseignement entièrement en présentiel. Un tiers suit un enseignement hybride, à moitié en présentiel et à moitié en ligne, un dernier tiers totalement en distanciel. Deux tiers des enfants en âge d’aller à l’école ne la fréquentent pas. Dans certaines zones, le processus éducatif a été complètement interrompu.
Outre ces dysfonctionnements dus aux attaques russes, les syndicats ukrainiens dénoncent les nombreux autres qui sont dus à l’incurie de l’État ukrainien : des bâtiments non réparés, non modernisés, l’absence de mise à disposition de moyens modernes d’apprentissage à distance, et surtout le non-paiement fréquent des salaires. Le financement insuffisant du budget de l’éducation affecte directement les conditions d’apprentissage des élèves et de travail des enseignants. Résultat : le pays connaît une véritable crise de recrutement : environ 19 000 postes d’enseignants du primaire restent vacants dans les villes, et plus de 11 000 dans les écoles rurales.
Dans la santé, des attaques militaires russes… et politiques de l’État ukrainien
Pour ce qui est des services publics de santé, comme dans toutes les guerres, ils ont été une des principales cibles de l’armée d’invasion russe. On dénombre plus de 400 attaques contre des établissements de santé depuis le début de la guerre. 144 installations ont été complètement détruites par des frappes russes. Le bombardement le plus médiatisé a été celui de la maternité de Marioupol, le 9 mars 2022, qui a fait au moins 80 victimes.
À ces destructions provoquées par les attaques militaires s’ajoute la politique de l’État ukrainien, qui n’a cessé depuis des années de s’en prendre lui-même aux services publics de santé. La réforme de la santé de 2018 a entraîné la fermeture de nombre de centres. Elle a mis fin à la gratuité des opérations chirurgicales, et renforcé le pouvoir des directeurs de centres, en supprimant toute norme sur le temps et la charge de travail.
Les médicaments sont difficilement accessibles. Le gouvernement a publié une liste de ceux qui devraient être disponibles dans les hôpitaux et remis aux patients, mais très limitée et de médicaments peu efficaces. Les patients doivent tenter de trouver en pharmacie des médicaments, au prix fort.
Comme dans l’éducation, les conditions de travail déplorables conduisent à une crise de recrutement. Le pays connaît une véritable pénurie de personnel de santé, notamment de médecins.
Aurélien Pérenna
Sommaire du dossier
- Après les bénéfices de la guerre en Ukraine, les dividendes de la paix sur le dos de la population ukrainienne
- Le quotidien d’un pays en guerre
- Pendant la guerre, le gouvernement ukrainien continue ses attaques contre les travailleurs…
- Ukraine : sous prétexte de la guerre, une restriction radicale des libertés fondamentales
- Les réfugiés ukrainiens : solidarité européenne et intérêts capitalistes