Nos vies valent plus que leurs profits

Les bolcheviks et l’immigration

Constitution soviétique de 1918

Dans le contexte qui sévit actuellement en France, mais aussi dans tous les autres pays du monde, les divers régimes bourgeois, qu’ils soient ouvertement dictatoriaux ou présentés comme « démocratiques », pratiquent une politique de ségrégation à l’égard des étrangers. C’est une surenchère de lois restreignant les droits sociaux et politiques, plus particulièrement des travailleurs et travailleuses étrangers : restriction des conditions de séjour, amputation des protections sociales, limitation du regroupement familial, impossibilité de voter ou de se porter candidat aux élections, si ce n’est aux seules élections municipales pour les seuls citoyens de pays de l’Union européenne. Tandis que les autorités reçoivent à bras ouverts les bourgeois venus du monde entier, dirigeants et représentants des classes dominantes des autres pays. Deux poids deux mesures ! Et c’est une entreprise de division de la classe ouvrière pour mieux l’exploiter, tout particulièrement en France.

Mais il fut une époque, et une vaste région du monde, où la « république socialiste fédérative soviétique de Russie » (RSFSR), en 1917 après le succès de la révolution prolétarienne d’Octobre, instaura un pouvoir de classe changeant radicalement les règles du jeu ! D’où cette nouvelle « loi fondamentale » de la Constitution de la RSFSR de 1918, dont nous publions ci-dessous quelques extraits1 concernant le droit des travailleurs étrangers… qui n’étaient plus considérés comme tels.

Dans cette période révolutionnaire qui a porté le prolétariat au pouvoir dans l’ex-empire russe, des droits et des outils étaient donnés aux ouvriers et aux paysans pauvres, destinés à assurer leur pouvoir social et politique sur l’ancienne classe dominante déboulonnée, dans un contexte où la résistance de la bourgeoisie n’avait pas disparu, droits et outils très liés aux conditions concrètes mais qui permettent néanmoins de saisir des principes qui gardent toute leur valeur à l’heure actuelle. Une « Déclaration des droits du peuple travailleur et exploité » donne le ton : « Dans le but fondamental de supprimer toute exploitation de l’homme par l’homme, d’abolir à jamais la division de la société en classes, de réprimer sans pitié les exploiteurs et d’instituer l’organisation socialiste de la société, ainsi que d’assurer la victoire du socialisme dans tous les pays. »

Malgré ses spécificités historiques, l’empire tsariste d’avant la révolution avait connu un développement capitaliste engendrant, comme partout, des migrations vers les lieux d’exploitation. Exode rural bien sûr et arrivée d’une main-d’œuvre russe et non russe vers les centres urbains. Les étrangers étaient en partie une main-d’œuvre qualifiée (entre autres des Belges) mais aussi des populations des marges colonisées de l’empire russe. Ce n’est que dans les années 1920 qu’une estimation a pu être faite du nombre de résidents étrangers permanents : plusieurs dizaines de milliers, sans pouvoir préciser plus.

Ainsi, la Constitution elle-même, et quelques autres textes, en matière de libertés démocratiques (droits de réunion, d’expression, de presse) mais aussi droits de séjour et circulation (entre autres liés à l’immigration), assuraient aux travailleurs des villes et des campagnes, à tous ceux qui produisaient des richesses sans exploiter personne, des droits assortis des moyens matériels nécessaires pour les exercer.

C’est pour cette raison qu’il est particulièrement intéressant de connaître les mesures prises par l’État des soviets en Russie à partir de la prise du pouvoir par la classe ouvrière à l’égard des étrangers, dans un contexte politique où il était clairement affirmé que « les prolétaires n’ont pas de patrie ». Bien sûr, dans les conditions d’un blocus militaire des puissances impérialistes, de mouvements de libération nationaux divers, d’un contexte de guerre civile, les ambitions démocratiques de la Russie nouvelle n’ont pu que difficilement se réaliser.

Les quelques extraits ci-dessous, sur la mise en pratique de principes de classe et internationalistes, donnent en tout cas de bonnes idées !

Pierre Mattei

 

 


 

 

La Constitution de la RSFSR de 1918

Section 2

Dispositions générales de la Constitution de la république fédérative soviétique socialiste de Russie

Chapitre 5

Partant de la solidarité des travailleurs de toutes les nations, la république socialiste fédérative soviétique de Russie accorde tous les droits politiques des citoyens russes aux étrangers résidant sur le territoire de la république russe pour y exercer une activité professionnelle et appartenant à la classe ouvrière ou à la paysannerie ne faisant pas appel au travail d’autrui, et reconnaît aux soviets locaux le droit d’accorder à de tels étrangers, sans formalités lourdes, le droit à la citoyenneté russe.

Section 4

Le suffrage actif et passif

Chapitre 13

Ont le droit d’élire et d’être élus aux soviets, sans distinction de religion, de nationalité, de sédentarité, etc. les citoyens des deux sexes de la république socialiste fédérative soviétique de Russie suivants, âgés de dix-huit ans révolus au jour de l’élection :

a) tous ceux qui obtiennent leurs moyens de subsistance par un travail productif et socialement utile, ainsi que les personnes engagées dans l’économie domestique donnant la possibilité aux premiers cités de travailler de manière productive, tels que : les ouvriers et les employés de toutes sortes et catégories, employés dans l’industrie, le commerce, l’agriculture, etc., les paysans et les agriculteurs cosaques qui n’utilisent pas de main-d’œuvre salariée à des fins lucratives ; b) les soldats de l’armée et de la marine soviétiques ; c) les citoyens appartenant aux catégories énumérées aux paragraphes « a » et « b » du présent article qui ont perdu à quelque degré que ce soit leur capacité de travail.

Note 1. Les soviets locaux peuvent, avec l’approbation de l’autorité centrale, abaisser la limite d’âge fixée dans le présent article.

Note 2 : Parmi les personnes qui ne sont pas devenues citoyens russes, les personnes indiquées à l’article 20 (section 2, chapitre 5) jouissent également du suffrage actif et passif.

 

 


 

 

Décret du comité exécutif central panrusse sur le droit d’asile

28 mars 1918

{30} Tout étranger persécuté dans son pays d’origine pour des délits de nature politique ou religieuse bénéficie, à son arrivée en Russie, du droit d’asile dans ce pays.
Ces personnes ne peuvent être extradées à la demande des États dont elles sont ressortissantes.

{31} Lorsqu’une demande d’extradition de ces personnes est formulée par le gouvernement d’un État, elle est transmise pour examen au commissariat aux Affaires étrangères, qui la transmet au tribunal pour la qualification de l’infraction : est-elle de nature politique ou religieuse, ou s’agit-il d’une infraction pénale générale. En fonction de la nature de l’infraction, telle ou telle conclusion sur la question de l’extradition est prise.

Le président du comité exécutif central panrusse
Y. Sverdlovi.
Le secrétaire du comité exécutif central panrusse
V. Avanessovii.

 

 


 

 

Décret du comité exécutif central panrusse sur l’acquisition des droits de la citoyenneté russe

1er avril 1918

{40}
L’acquisition des droits de la citoyenneté russe par les étrangers est déterminée par les conditions suivantes :

1. Tout étranger résidant à l’intérieur des frontières de la république socialiste fédérative soviétique de Russie peut acquérir les droits de la citoyenneté russe.

2. Pour acquérir les droits de la citoyenneté russe, un étranger doit présenter une demande au soviet local des députés des ouvriers, des soldats, des paysans et des cosaques, en indiquant sa profession et en précisant s’il n’a pas été poursuivi pour une infraction pénale de droit commun et, dans l’affirmative, pour quels actes.

3. L’identité de la personne qui fait la déclaration, en l’absence d’autres moyens de l’établir, est certifiée par des témoignages de citoyens de plein droit de la république socialiste fédérative soviétique de Russie.

Remarque. Les personnes qui soumettent sciemment de fausses informations pour acquérir les droits de la citoyenneté russe sont passibles de la même responsabilité pénale que les faux témoignages et peuvent être privées des droits qu’elles ont acquis.

4. Si le demandeur est reconnu comme satisfaisant aux exigences des articles 1 et 3 du présent décret, le soviet lui délivre un certificat en bonne et due forme d’acquisition des droits de citoyenneté russe.

{41}
5. Dans des cas exceptionnels, des étrangers résidant en dehors de la république socialiste fédérative de Russie peuvent être admis comme citoyens russes. Les demandes de ces étrangers sont présentées par eux directement ou par l’intermédiaire du représentant diplomatique le plus proche de la république socialiste fédérative de Russie à l’étranger au président du comité exécutif central et sont examinées par le comité exécutif central.

6. Le conseil des députés ouvriers, des soldats, des paysans et des cosaques informe le commissariat à l’Intérieur des étrangers qu’il a admis à la citoyenneté russe, qui les enregistre, publie leurs listes pour les rendre publics et, par l’intermédiaire du commissariat du peuple aux Affaires étrangères, informe les États dont ils étaient citoyens.

Le président du comité exécutif central panrusse des soviets des députés ouvriers, de soldats, de paysans et de cosaques
Ya. Sverdlov.
Le secrétaire du comité exécutif central
V. Avanessov.
 

 


 

 
1  Le texte en français de cette Constitution est disponible, sur le site universitaire https://mjp.univ-perp.fr/constit/ru1918.htm ou aussi sur le site https://fr.wikisource.org/wiki/Constitution_de_la_R%C3%A9publique_Socialiste_F%C3%A9d%C3%A9rative_des_Soviets_de_Russie/Divisions