« C’est une issue lamentable », « une forme d’euthanasie du travail », « un accord catastrophique ! ». Le voilà bien énervé, le chef de file des sénateurs LR ! Mais de quoi parle-t-il ? De l’augmentation de 700 euros de frais de mandat des sénateurs pris en charge par l’État que ses amis et lui ont votée récemment ? Certainement pas ! Il s’agit de l’accord pour une « cessation anticipée d’activité » (CAA) qui vient d’être signé à la SNCF par l’ensemble des syndicats, CGT et SUD compris, et la direction. La presse s’est affolée en présentant la chose comme une remise en cause dangereuse de la dernière réforme des retraites. Et Bruno Le Maire d’en rajouter une couche sur la catastrophe annoncée en convoquant dans son bureau Jean-Pierre Farandou, PDG de la SNCF. Ouh, le sale gosse qui aurait mal fait son travail de casse sociale ! Les gros yeux du gouvernement à un PDG, c’est valable pour Farandou, qui pointe à 400 000 euros par an de salaire, le maximum dans une entreprise publique. Mais pour Carlos Tavares, PDG de la multinationale française Stellantis, qui s’offre la bagatelle d’un petit 36 millions d’euros par an, personne ne moufte au gouvernement.
Alors, zéro pointé pour la direction de la SNCF et grande victoire pour les cheminots et leurs syndicats ? Tâchons d’y voir plus clair.
« On a gagné de partir un peu moins tard »
À la première lecture, le dispositif est plutôt séduisant en annonçant la possibilité d’un départ en retraite anticipée, sans perte de salaire directe ou perte de trimestre de cotisation. En fonction des services, des métiers et des critères obscurs de pénibilité, ce départ anticipé irait de 9 à 18 mois. Pour un certain nombre de cheminots, cela représentera une avancée, ou disons plutôt une limitation partielle du recul de l’âge de départ en retraite. En moyenne, c’est autour de un an de moins au travail qui a été gagné.
Une victoire partielle à mettre au compte des grèves menées depuis quelque temps par les travailleurs du rail. Au contrôle lors de différents week-ends, à l’aiguillage, dans les ateliers de maintenance ou à la conduite, les mobilisations ont été nombreuses ces derniers mois. Et même si cela ne s’est pas transformé en un mouvement national des cheminots, c’est cette combativité et cette crainte qui ont contraint la direction SNCF à lâcher quelques avancées.
Un pansement sur une jambe de bois
Pas de quoi crier victoire sur toute la ligne, loin de là ! Le premier accord de cessation progressive d’activité à la SNCF date d’après la réforme des régimes spéciaux de 2007 par le gouvernement Sarkozy, tout comme le nouvel accord succède à la dernière réforme des retraites de 2023. Leurs buts : compenser en partie seulement et sur des critères de pénibilité l’effet des réformes promulguées. La dernière réforme des retraites s’appliquera belle et bien, en augmentant d’autant d’années de trop la fatigue et l’usure des travailleurs du rail. À l’instant t et avec le bénéfice du nouvel accord de fin de carrière, un agent de conduite embauché en 2021 partirait à la retraite à 62 ans et 9 mois. On est loin de la retraite à 50 ans pour les agents de conduite et 55 ans pour tous les autres cheminots que les grévistes de 1995 avaient maintenue.
Bruno Le Maire a beau crier au scandale et tenter de faire porter la responsabilité sur les cheminots, c’est lui et son gouvernement qui sont responsables des attaques sur les retraites que tous les travailleuses et travailleurs du pays avaient combattues. Cette réforme, 49.3 ou pas, adoptée ou pas, un an après ou pas : on n’en veut pas !
Le CNA, tout ça pour ça ?
La mobilisation chez les contrôleurs SNCF a été portée depuis quelques mois par un Collectif national d’ASCT1 (CNA), structure hors syndicats, qui se voulait plus représentative des revendications des salariés concernés. Mais pendant toute la dernière séquence, le rôle du CNA s’est cantonné à suivre les directions syndicales. Pendant la grève de février, il n’a à aucun moment cherché à structurer le mouvement à la base, ce qui aurait permis aux ASCT de s’organiser et de se coordonner, et ainsi de décider collectivement des suites de leur grève. Pire, alors qu’en avril la direction n’a pas donné satisfaction à toutes les revendications, le CNA a lui aussi annoncé ne plus appeler à la grève en mai, bradant ainsi un mouvement collectif pour une poignée de lentilles. Sortir des cadres syndicaux n’est pas en soi une recette magique pour gagner nos luttes. Ce qui permet le vrai rapport de force, c’est que les travailleurs dirigent démocratiquement, par la base, leurs mouvements.
Quant aux directions syndicales, elles affichent leur satisfaction de la signature de l’accord. Au nom de son contenu, mais surtout au nom d’un dialogue social renoué avec la direction ! Pourtant, pas de quoi sortir les trompettes au vu de la détérioration des conditions de travail et de transports qui se poursuit.
Pour prendre réellement notre revanche sur la dernière réforme des retraites et pour obtenir de véritables augmentations de salaire, il reste nécessaire de préparer une mobilisation d’ampleur. La direction de la SNCF a reculé d’un pas et pense probablement en profiter pour mieux sauter de deux ! Pas question de laisser faire !
Correspondant
1 Agent du service commercial trains.