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Les internationalistes face à la guerre d’Ukraine

La guerre en Ukraine suscite des débats dans l’extrême gauche et y compris au sein du NPA. À la suite de notre article Les révolutionnaires et la guerre en Ukraine : quelle voie pour les travailleurs et les peuples ?, publié sur notre site le 9 mars dernier, un camarade nous a envoyé son point de vue que nous publions ci-dessous.

La guerre d’Ukraine est sans doute le problème le plus grave auquel doivent faire face les révolutionnaires dans la période actuelle. Cette épreuve est un révélateur. Face à ce conflit, l’extrême gauche est divisée. Une partie des militants qui se revendiquent du marxisme révolutionnaire ont basculé à des degrés divers dans le bellicisme en faveur du camp de l’Otan et de l’armée de Zelensky, sous la pression politico-médiatique, liée à l’implication de l’impérialisme français dans la guerre. Ils reprennent à leur compte la propagande qui déferle sur nous et certains se sont lancés dans une surenchère pour revendiquer toujours davantage de livraisons d’armes à l’armée de Zelensky. À leurs yeux, cette guerre serait une « guerre de libération nationale » comparable aux guerres du Vietnam et d’Algérie. Fort heureusement, si virulents et bruyants soient ces va-t-en-guerre, ils restent tout de même minoritaires dans le mouvement trotskiste et l’extrême gauche en général. En France1 par exemple, il n’y a qu’une partie du NPA, surtout la plus droitière, pour défendre ces positions. Lutte ouvrière, le POID, Révolution permanente et une autre partie du NPA, avec des nuances diverses certes, n’ont pas renoncé à défendre des positions internationalistes.

Les militants bellicistes ne font que s’aligner derrière l’ensemble de la classe politique qui s’est ralliée à l’union sacrée, de Bardella à Roussel. Certains milieux « de gauche » comme ceux de EELV et du PS comptent d’ailleurs parmi les plus bellicistes. En dépit de quelques coquetteries initiales, LFI s’est aussi alignée2, de même que le PCF. La déclaration récente de l’intersyndicale nationale3 correspond à ce ralliement général à l’union sacrée, classique en période de guerre. Il n’en va pas pour autant de même à la base : de nombreuses instances syndicales se sont prononcées contre l’escalade militariste. Ce qui suscite des tentatives de discréditer ces organisations en présentant leurs animateurs comme des nostalgiques de l’URSS stalinienne qui voient en Poutine un continuateur de Staline – ce qui n’est pas faux en soi – et le soutiennent à ce titre. Pourtant, s’ils existent, les courants archéo-staliniens pro Poutine restent tout de même marginaux. Des prises de position comme celles des UD CGT du Val-de-Marne et des Bouches-du-Rhône, quoi qu’on puisse reprocher à leurs dirigeants, n’apportent aucun soutien à Poutine qu’ils renvoient dos à dos avec Biden et Zelensky4. Au sein de la classe ouvrière et des classes populaires, on ne retrouve pas le même enthousiasme pour la guerre que dans la petite bourgeoisie de gauche, ce qui contribue sans doute à expliquer ces prises de positions qui tranchent avec celle de l’intersyndicale nationale, plus soucieuse de donner une image patriotique et consensuelle.

Quelles sont les causes de cette guerre ?

Les médias et les politiciens nous serinent que Poutine et sa mégalomanie grand-russe seraient les seuls responsables de ce conflit. D’une part, les guerres ont bien d’autres causes que la folie des personnalités politiques, dictateurs ou « démocrates », qui prennent l’initiative de les déclencher. Les guerres sont fondamentalement les conséquences inévitables du système capitaliste et des rivalités impérialistes qu’il engendre. Les seules guerres que peuvent soutenir les marxistes révolutionnaires, ce sont les guerres de libération des peuples coloniaux. La guerre d’Ukraine entre-t-elle dans cette catégorie ? L’Ukraine peut difficilement être qualifiée de colonie. C’est un État indépendant depuis 1991, c’est-à-dire trente ans. Les capitalistes ukrainiens – « oligarques » ou non – disposent de leur appareil d’État, de leur police et de leur armée pour défendre leurs intérêts de classe. L’objectif de Poutine n’était d’ailleurs pas de transformer l’Ukraine en colonie, comme l’étaient l’Algérie ou le Congo, ce qu’elle n’a jamais été, mais de la conserver ou de la remettre dans sa zone d’influence. Cette guerre dure en fait depuis 2014, quand a été renversé le pouvoir du président Ianoukovytch favorable à la Russie. En prenant l’initiative de cette aventure guerrière, Poutine n’a fait que tenter de compenser l’infériorité économique de l’impérialisme russe face à l’offensive de l’impérialisme occidental, sous la houlette des États-Unis, infiniment plus riches, par ce qu’il croyait être sa supériorité militaire. Peut-être a-t-il fait le pari que l’impérialisme occidental respecterait sa chasse gardée en Europe comme il l’avait fait depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais la situation a changé, en particulier l’aggravation de la crise du capitalisme, l’exacerbation des rivalités, l’évolution des rapports de force. L’impérialisme américain n’a pas laissé passer l’occasion que Poutine lui offrait sur un plateau d’affaiblir l’impérialisme russe et ses concurrents européens, notamment en les privant des hydrocarbures russes. Entre autres objectifs, car ses causes ne sont pas seulement économiques, cette guerre a pour but de part et d’autre de mettre la main sur les richesses considérables de l’Ukraine.

Une guerre par procuration

Par l’importance de l’intervention des États de l’Otan, cette guerre dépasse très largement le cadre d’un conflit entre l’Ukraine et la Russie. Même si aucun soldat occidental ne combat en Ukraine, du moins officiellement, nous sommes en présence d’un conflit international de grande envergure. Pour le moment, des règles implicites limitent la guerre au territoire ukrainien, mais l’armée de Zelensky est entraînée et équipée par l’Otan, soutenue par sa logistique ; elle dispose de bases arrières dans les pays frontaliers comme la Pologne. Ces bases sont à l’abri des attaques comme le sont les bases russes en Russie. Du moins pour le moment, car ces règles peuvent à tout instant être transgressées par l’un ou l’autre des belligérants ; et on imagine quelles nouvelles catastrophes pourrait déclencher cette extension du conflit.

Nous sommes donc en présence d’une guerre par procuration menée par l’Otan contre l’impérialisme russe. Les Ukrainiens sont la chair à canon de l’Otan comme la jeunesse russe est celle de Poutine. Pourquoi faire tuer ses propres hommes, avec tous les risques de rejet de la guerre que cela comporte, quand on peut trouver de la chair à canon sur place ? Cette méthode n’est pas nouvelle. Elle a par exemple été utilisée au Moyen-Orient où les États-Unis ont utilisé les nationalistes kurdes comme harkis avant de les renvoyer à la case « terroriste » pour ne pas se fâcher avec Erdoğan, le maître de la Turquie qui constitue un pion plus important.

Des raisonnements moralistes forgés par le pilonnage médiatique

La guerre n’est rien d’autre que la continuation des conflits économiques et politiques menés par d’autres moyens. Pour les marxistes, ni l’État qui a pris l’initiative de la guerre ni les positions des armées sur le terrain ne permettent de désigner des bons et des mauvais camps. Pas davantage que les forces respectives des belligérants ou les fameuses « lois internationales » que l’ONU est censée faire respecter. Qui se souvient aujourd’hui de l’armée qui a tiré le premier coup de feu en 1914 ? On ne se souvient que d’une gigantesque et absurde boucherie – du moins absurde du point de vue des classes populaires qui en ont été victimes. Et fallait-il combattre l’armée du Kaiser parce que celle-ci occupait une bonne partie du territoire français ?

Il est déplorable qu’une partie, minoritaire répétons-le, des militants qui se revendiquent du marxisme révolutionnaire reprenne à son compte ces raisonnements moralistes de prétendu bon sens et sombrent dans le discours patriotique en exaltant « la résistance ukrainienne » face à une guerre inter-impérialismes dans laquelle l’Ukraine n’est qu’un pion.

Le fantasme de la « résistance populaire » armée par l’Otan

« Le droit du peuple ukrainien de s’armer pour se défendre » est un des arguments qu’on entend le plus souvent pour justifier les dizaines ou les centaines de milliards d’armements que les États de l’Otan déversent sur l’Ukraine. D’une part, le peuple ukrainien, comme tous les peuples, est divisé en classes sociales antagonistes. C’est l’armée bourgeoise de Zelensky, au service des capitalistes-oligarques, et derrière eux de l’impérialisme occidental qui reçoit ces armes, pas le « peuple ukrainien ». Et, si on entend le terme « peuple » par classes populaires, ce sont encore moins ces dernières qui reçoivent des armes. Il est aussi absurde de prétendre que le peuple ukrainien s’arme quand l’armée de Zelensky reçoit des canons Caesar et des missiles Himars que de raconter que le peuple français s’arme quand l’armée tricolore reçoit des Rafale et des chars Leclerc. Il en serait certes différemment s’il existait des organisations ouvrières et populaires, constituées sur des bases de classe, indépendamment de l’armée ukrainienne, qui cherchaient à s’armer pour se protéger des exactions de l’armée russe – et sans doute aussi de celles de l’armée ukrainienne dans des régions russophiles5. Mais ces organisations n’existent que dans les fantasmes de certains militants de la droite du NPA qui encensent des groupes « socialistes » ou « libertaires » dont les membres ont rejoint l’armée ukrainienne. Il serait donc bien difficile de soutenir le droit à s’armer de ces fantômes, tout comme il serait hasardeux de dire ce que nous pourrions faire si nous étions sur place, et de prétendre donner des conseils aux rares militants ukrainiens qui tentent de maintenir des positions de classe – et ils existent, même si ni l’Anticapitaliste ni la presse bourgeoise ne leur font de publicité.6

Ce droit de s’organiser et de s’armer de groupes de prolétaires pour défendre la population et, pourquoi pas, préparer la révolution sociale, n’a strictement rien à voir avec un soutien aux livraisons d’armes occidentales. Lesquelles pourraient servir demain à réprimer les travailleurs. Ajoutons que cette revendication de livraisons d’armes, ou son acceptation, sont incompatibles avec le combat indispensable contre la course aux armements et l’explosion des budgets militaires. Car, pour livrer des armes, il faut les fabriquer et les financer.7

Comment mettre fin au massacre ?

La seule issue de la guerre favorable aux classes populaires et aux droits des différents peuples présents sur le sol ukrainien de disposer d’eux-mêmes, ce serait la révolte générale contre la guerre et la fraternisation des soldats et des habitants. Toute autre issue se fera sur leur dos, par un nouveau partage marchandé entre les grandes puissances. La victoire de Poutine renforcerait sa dictature. Celle de l’Otan n’aboutirait pour les Ukrainiens qu’à changer de maître. Un maître certes plus riche, mais auprès duquel ils seront lourdement endettés. Ne doutons pas que ce seront les classes populaires qui paieront cette dette. Sans compter que l’affaiblissement de la Russie pourrait déclencher une explosion des nationalismes dans l’est de l’Europe et une multitude de conflits sanglants et incontrôlables, comme la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan nous en fournit un exemple.

Sans doute beaucoup de gens, et parmi eux des camarades, vont-ils nous dire que cet objectif de fraternisation des prolétaires russes et ukrainiens est utopique. Il n’est pourtant pas plus utopique que de croire qu’une victoire militaire, après des années de tueries, va déboucher sur une paix et une prospérité durables, accompagnées d’un véritable droit des populations d’Ukraine, y compris de toutes les minorités, de disposer d’elles-mêmes. Ou encore d’imaginer que l’ONU pourrait mettre fin à la guerre dans une harmonie générale des nations. Toute victoire militaire aboutirait à un nouveau partage sur le dos des peuples et à de nouveaux déséquilibres. Cette situation serait inévitablement ressentie comme une humiliation et une spoliation, avec le risque de déboucher sur de futurs conflits, le vaincu attendant son heure pour prendre sa revanche. À la manière dont il a fallu trois guerres, dont deux mondiales, pour décider du sort de l’Alsace-Lorraine, que l’Allemagne et la France se sont disputées en 1870, 1914 et 1939, comme l’Ukraine et la Russie se disputent le Donbass. Ces problèmes ne pourraient être réglés durablement que dans le cadre d’une fédération d’États socialistes et démocratiques libérés du capitalisme et gouvernés par les travailleurs.

Certains signes nous indiquent que cette révolte contre la guerre est possible. Les mouvements de mères de soldats en Russie, les plaintes et critiques contre leurs chefs militaires des deux camps et même des mutineries de soldats ukrainiens qui ont refusé de monter au front dans l’enfer de Bakhmout. Les révoltes – et les révolutions ! – commencent bien souvent par des revendications limitées qui ne remettent pas la guerre elle-même en question, telles que le manque de nourriture, d’équipements ou les comportements des officiers. Nous ne devons pas négliger ces faits malgré leur caractère encore marginal – du moins d’après les informations qui viennent jusqu’à nous. Nous n’avons aucun moyen de savoir si ces mouvements vont s’amplifier ou seront étouffés par la chape nationaliste et la terreur. Pourtant, dans le brasier de Bakhmout où un soldat n’a que quelques heures d’espérance de vie quand on l’envoie en première ligne, les chances de survivre seraient sans doute plus grandes en se révoltant. De toute manière, c’est la seule issue que doivent souhaiter les internationalistes et favoriser dans les limites de leurs moyens.

Gérard Delteil


 

1 Aucun recensement exhaustif des positions de l’extrême gauche n’a été réalisé à l’échelle internationale à notre connaissance. Toutefois, des organisations très importantes ont adopté des positions internationalistes rejetant les deux camps impérialistes, par exemple en Argentine les deux plus grandes composantes du Front de gauche et des travailleurs, le Parti ouvrier et le Parti socialiste des travailleurs.

2 Par exemple, le 16 février 2023, les eurodéputés de LFI ont voté une résolution quasi unanime du Parlement européen pour inviter les États membres à augmenter leur soutien militaire. Les députés du PCF de leur côté ont voté en faveur des sanctions économiques contre la Russie et de l’aide militaire.

3 https://www.cfdt.fr/portail/presse/communiques-de-presse/communique-intersyndical-pour-une-paix-juste-et-durable-solidarite-avec-la-resistance-des-ukrainiennes-et-des-ukrainiens-srv2_1278572

4 « On n’est pas pro-russes, mais on n’est pas pro-ukrainiens non plus », affirme sur le plateau de BFMTV Olivier Mateu, secrétaire de l’union départementale CGT des Bouches-du-Rhône et candidat déclaré à la succession de Philippe Martinez, qui ne veut « pas choisir entre un impérialisme ou un autre ».

5 Quand on voit des chars de milices fascistes ornés, sans doute par provocation, de croix de la Wehrmacht patrouiller dans des villes du Donbass, comme un reportage l’a montré sur LCI (dimanche 26 février 2023), il est permis en effet de redouter que les exactions ne soient pas le fait de la seule soldatesque russe…

6 Par exemple le groupe libertaire Assembly qui semble avoir des militants ou des contacts en Russie comme en Ukraine. https://assembly.org.ua/

7 On mesure la naïveté, ou l’hypocrisie, du Comité français du Réseau européen de solidarité avec l’Ukraine (soutenu par le NPA de Poutou et Besancenot) qui écrit : « combattre la hausse des budgets militaires et la militarisation de la société est nécessaire et va avec le soutien à la résistance ukrainienne armée et non armée. L’Ukraine ne représente pas grand-chose dans ces budgets. Exigeons de la France qu’au lieu de vendre des armes aux dictatures, elle aide sérieusement la résistance ukrainienne, sans augmenter ses propres dépenses militaires. »