
Depuis début septembre, un bras de fer oppose la junte militaire, arrivée au pouvoir au Mali par deux coups d’État successifs en 2020 et 2021, aux groupes armés islamistes, rassemblés depuis 2017 sous la bannière du GSIM (Groupe de soutien à l’islam et au musulmans, JNIM en arabe). En représailles contre l’interdiction par le pouvoir malien de la vente d’essence en bidons, qui visait à priver les groupes islamistes de leur accès au carburant, ces derniers ont répliqué par le blocus des circuits d’approvisionnement de la capitale, en bloquant les axes d’acheminement depuis les pays voisins, dont le Mali dépend pour 90 % de son commerce. C’est toute la population qui en fait les frais, avec des infrastructures vitales privées d’électricité et une activité économique à l’arrêt.
La France a beau jeu de voir derrière ce coup de force des islamistes l’échec de l’alliance militaire nouée entre la junte au pouvoir et les paramilitaires russes de l’Africa Corps (ex-Wagner). Neuf ans d’intervention française de 2013 à 2022, dont Hollande était si fier et dont Macron a pris le relais, contre ces mêmes groupes en renfort du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) en place à l’époque, se sont conclus par un bilan désastreux ponctué d’exactions contre la population, qui a applaudi le départ des troupes françaises en 2022.
Le développement dans le pays des groupes armés se proclamant islamistes ne date donc pas d’aujourd’hui. S’ils ont prospéré et trouvé des jeunes sans emploi à enrôler, c’est bien du fait de la misère dans un pays soumis à un système hérité de la colonisation française, fait de l’accaparement par une minorité de rentes sur les ressources naturelles, sur l’aide internationale au développement et sur les revenus de la corruption. Et ce ne sont pas les nouveaux maîtres à Bamako, la junte dirigée par le colonel Assimi Goïta, qui ont inversé la tendance. Les colonels, qui ont pris le pouvoir en surfant, après les grèves des années 2018-2019 (notamment dans les mines et les chemins de fer), et les grandes manifestations du printemps 2020 contre le régime d’IBK, sur la détestation bien méritée de la France, n’ont évidemment rien changé à la misère de la population, au règne de la même minorité de notables locaux, vite ralliés au nouveau régime et à ses nouveaux partenaires (Russie, Chine, Inde, Émirats arabes unis, Égypte). Pas plus qu’ils n’ont mis fin aux affrontements meurtriers avec les rebelles du Front de libération de l’Azawad (FLA) et à la concurrence que se livrent au Sahel les franchises locales du djihadisme international, Al-Qaïda et l’État islamique. Et c’est pour se protéger d’une nouvelle vague de mobilisation sociale de la population elle-même que le régime a interdit en mai 2025 tous les partis et organisations « à caractère politique ».
C’est la misère persistante, le pillage des richesses par les grandes sociétés qui contrôlent entre autres les ressources minières (notamment les mines d’or), et qui se poursuit sous le nouveau régime comme sous l’ancien, qui explique le développement de ces groupes armés. Ils se financent de subsides extérieurs ou d’impôts prélevés sur le dos de la population, voire en faisant payer leur contrôle de certaines zones par ceux qui viennent chercher fortune au Mali, comme cette rançon de 50 millions de dollars obtenue la semaine dernière pour la libération d’un ancien général émirati de la famille royale de Dubaï reconverti dans le commerce de l’or.
Mais quels que soient les objectifs immédiats des islamistes du JNIM, prendre le pouvoir par les armes (il semble qu’ils en soient loin), ou affaiblir le pouvoir de Goïta pour négocier leur place dans le régime, c’est la population pauvre du pays qui en subit les exactions et la guerre que se livrent militaires au pouvoir et groupes armés.
La période 2018-2020 avait vu au contraire la population malienne réagir pour ses propres intérêts, ses conditions de vie, sans l’amélioration desquelles les groupes armés continueront à sillonner l’Afrique.
11 novembre 2025, Charlie Oviedo