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Maroc : 70 ans de monarchie mise en place par la République française

C’est au roi Mohamed VI que la GenZ 212 avait adressé ses premières revendications et sa demande de limogeage du gouvernement. Pas tant par croyance au roi et encore moins à sa générosité. Plutôt une démarche de prudence dans un pays où peut vite vous conduire en taule le simple fait de contester ce roi « descendant du prophète ». Sans oublier que c’est la République française, dite « laïque et démocratique » qui a fait monter sur le trône, il y a 70 ans, cette monarchie marocaine religieuse et intouchable.

Un roi pour rendre l’indépendance fort dépendante

C’était le 30 octobre 1955 que le futur roi Mohamed V était ramené en avion de Madagascar où le gouvernement français l’avait exilé, direction Nice pour de derniers marchandages, puis le Maroc le 16 novembre. Ironie du sort de voir aujourd’hui des Gen Z semblables se révolter dans ces deux ex-colonies où l’impérialisme français (mais pas que lui désormais) continue à empocher les dividendes sur le dos de la population.

Mais, avec la guerre d’Algérie, la principale colonie où la bourgeoisie française tenait à maintenir sa domination directe, mieux valait pour elle passer des compromis ailleurs par des indépendances négociées, mettant en place des gouvernements plus ou moins sous sa tutelle.

Au Maroc, le retour du sultan exilé devenait la carte à jouer pour une indépendance maintenant les intérêts de l’impérialisme. Et la monarchie marocaine a bien joué son rôle jusqu’à aujourd’hui. « C’est à nous [les Marocains] qu’incombe désormais la responsabilité du maintien de l’ordre », déclarait, à la proclamation officielle de l’indépendance en mars 1956, le futur Mohamed V (il a pris ce titre en 1957).

Du massacre dans le Rif à la Gen Z en passant par la révolte du pain

Cela a commencé dès 1956 contre les groupes armés nationalistes qui s’étaient développés au Maroc à l’image du FLN algérien. Puis ce fut la répression de l’insurrection dans le Rif en 1958-59, une des régions les plus pauvres du pays, faisant plusieurs milliers de morts. Les FAR (Forces armées royales), chargées de ces répressions, avaient été créées à l’indépendance avec 14 000 militaires marocains de l’armée française et 10 000 de l’armée de l’autre puissance qui s’était partagé le Maroc, l’Espagne. Les officiers venaient des écoles militaires françaises. Son commandement avait été confié au prince héritier (ancien fêtard et futur roi Hassan II) qui rappelait, quelques années plus tard les souvenirs de ces opérations, menées en commun avec le colonel Oufkir (ancien de l’armée française et de sa guerre d’Indochine), en ces termes : « Lui, jeune officier, moi, célibataire, nous eûmes alors des années fort agréables. »

Sous le règne d’Hassan II (succédant à son père en 1961), ce même ami Oufkir le débarrassa de l’opposant au régime, Mehdi Ben Barka, un ancien dirigeant des luttes pour l’indépendance, en venant lui-même à Paris pour la besogne et ramenant le cadavre au Maroc avec les complicités de la police française. C’était en octobre 1965. Quelques mois plus tôt, en mars, des émeutes avaient éclaté à Casablanca, partant de la jeunesse mais s’étendant vite aux chômeurs et habitants des bidonvilles. Cela n’a pas empêché le général Oufkir d’être liquidé à son tour en 1972 : il n’y a pas de reconnaissance dans ce monde-là.

Et, si le roi Hassan II « brava » l’impérialisme espagnol en lançant à l’automne 1975 la grande « marche verte » sur le Sahara occidental, c’est que le mécontentement social au Maroc se manifestait : grève des mineurs de Jeralda en avril 1974 réprimée par la police (deux morts), grève dans les mines de phosphate de Khourigba de janvier à mars 1975. 350 000 marcheurs mobilisés pour une cause dite nationale, rien de tel pour détourner les mécontentements et rallier derrière le roi y compris tous les partis dits d’opposition ! Aujourd’hui le régime marocain y combat toujours les indépendantistes sahraouis, et Macron lui a fait plaisir, il y a un an, en lui en reconnaissant officiellement la souveraineté en échange de quelques nouveaux marchés juteux pour les entreprises françaises.

La « révolte du pain », au printemps 1981, a également marqué le règne d’Hassan II. Les opposants au régime ont rempli les prisons. Le remplacement, en 1999, d’Hassan II par son fils Mohamed VI n’a, ni sur le terrain social, ni sur celui de la répression policière, changé grand-chose au régime marocain, ami de la France et enfant chéri des États-Unis dans la région. Les printemps arabes de 2011 en Tunisie et en Égypte ont entraîné aussi de puissantes manifestations sociales au Maroc, violemment réprimées par la police.

Gen Z a des précurseurs, et bien du pain sur la planche.

Olivier Belin