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Pérou : les mobilisations ont fait tomber Boluarte, et après ?

Lima, 15 octobre 2025. Photo de Txolo. Source : Wikimedia

La vague de mobilisations de la jeunesse du Pérou contre un projet de réforme des retraites avait fait reculer le gouvernement. L’entrée en scène des conducteurs de bus de Lima, révoltés par les extorsions dont ils sont victimes de la part de groupes criminels qui leur font perdre régulièrement leurs recettes de la journée, et les assassinats de ceux qui s’opposent à ce racket, avait été décisive dans la destitution de la présidente, Dina Boluarte, survenue le 10 octobre, après une grève des transports qui avait paralysé la capitale.

L’ampleur de la mobilisation du 15 octobre, malgré le rendez-vous manqué entre la Gen Z et les conducteurs de bus (les syndicats ayant levé leur appel à la grève au dernier moment), montrait que, malgré la destitution d’une présidente largement détestée, la colère restait intacte contre un personnel politique incapable de répondre aux besoins fondamentaux de la population.
Et depuis ? Le 14 novembre, plusieurs milliers de personnes ont à nouveau manifesté à Lima, mais moins que le 15 octobre et avec un caractère moins explosif.

Le nouveau gouvernement de José Jerí, qui prétend lutter contre le crime organisé avec l’état d’urgence, aurait-il convaincu ? Rien n’est moins sûr. Il apparaît largement que l’état d’urgence sert bien plus à réprimer les mobilisations qu’à lutter contre les extorsions. Après le meurtre d’un jeune manifestant par un policier en octobre, les arrestations et les gardes à vue de figures de la Gen Z se sont multipliées, un projet de loi propose de pénaliser le port du masque en manifestation et de sanctionner de 15 ans de prison l’usage d’articles pyrotechniques. Si la manifestation du 14 novembre a été autorisée, la veille le président du Congrès appelait les policiers à faire usage de leur arme de service. Le jour même, la police encerclait les principales universités, multipliant les contrôles d’identité, intimidations et arrestations préventives.

Les assassinats de travailleurs des transports n’ont pas cessé, commis par des tueurs gage circulant à moto… et le gouvernement impose le port du casque et d’un gilet réfléchissant aux deux-roues en prétendant lutter ainsi contre la criminalité. Aux gangs, le port d’un gilet, et à l’ensemble des travailleurs les amendes ! Les conducteurs de bus, de leur côté, n’ont eu d’autre choix que d’augmenter tous les tarifs de 50 centimes, pour compenser les pertes dues aux extorsions.

Si les secteurs qui se réclament de la Gen Z semblent désorganisés, les organisations syndicales professionnelles et étudiantes, qui pour certaines appelaient formellement à la manifestation du 14 novembre, n’ont pas véritablement cherché à étendre le mouvement, tout occupées qu’elles sont à négocier avec l’État et les partis, avec comme point de mire les élections d’avril prochain.
Reste que la colère profonde qui persiste dans de larges secteurs contre la pauvreté, la criminalité et la corruption, cherche encore les moyens de s’exprimer.

Sabine Beltrand

 

 

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