
Ça y est, Antonio Filosa, nouveau PDG de Stellantis vient de confirmer aux élus du personnel ce 3 novembre qu’il n’y aura plus de véhicules produits à Poissy après l’Opel Mokka, annonçant cash la fin de la production à Poissy à l’horizon 2027-2028, après la fermeture du site de Douvrin (fabrication de moteurs) en 2026. Pendant ce temps, l’ex-PDG Carlos Tavares, fait la tournée des médias pour la promotion de son livre, Un pilote dans la tempête, finalement bien résumé dans une interview du journal Le Point (26 octobre).
Avec de tels amis, la planète n’a pas besoin d’ennemis
« Ma vie mon œuvre », où y on découvre un Carlos citoyen et soucieux de la Planète (!). Aux constructeurs « pleurnichards », qui voudraient « temporiser » sur le passage à l’électrique, il répond : « C’est contraire à l’intérêt de mes petits-enfants car le fusible, c’est la planète. Qui se soucie aujourd’hui du réchauffement climatique ? Moi. » C’est pour ça, dit-il, qu’il aurait été viré… pardon : qu’il aurait démissionné ! Pourtant fin 2018, il menaçait que les objectifs de CO2 auraient un « impact majeur sur les emplois sur l’ensemble de la chaîne de valeur automobile, qui embauche 13,3 millions d’Européens »1. En 2019 il disait encore à propos des normes écologiques : « Jusqu’à quand les citoyens européens se laisseront-ils dicter par la pensée unique ce qui est bien ou mal ? », ironisant sur l’autonomie des moteurs électrique qui contraindrait à « ne plus pouvoir passer ses vacances au-delà d’un rayon de cent kilomètres »2. Qu’est-ce qui a pu rendre soi-disant « écologiste » ce « psychopathe de la performance » autoproclamé ?
Capitalisme vert-gris pour avaler les subventions publiques
Après avoir craché sur la voiture électrique, Carlos Tavares demande fin 2019 à l’État de mettre la main à la poche pour soutenir conversion à l’électrique et restructuration à coup de suppressions d’emplois par dizaines de milliers : « La recherche de la performance économique est assez écologique puisque frugalité et efficience impliquent une utilisation optimale des ressources humaines, économiques, planétaires… » En tant que président de l’Acea (Association des constructeurs européens d’automobiles), il déclare au même moment : « Notre industrie est impatiente de progresser le plus rapidement possible vers une écomobilité zéro émission. Toutefois, cette transition est une responsabilité partagée. […] les gouvernements de l’UE doivent suivre le rythme croissant avec lequel nous lançons ces voitures en augmentant énormément les investissements dans les infrastructures. »3 On comprend mieux.
C’est pas moi c’est Volkswagen !
On aurait envie de tout commenter du livre de Carlos Tavares : le Dieselgate dont il se défausse sur Volkswagen, alors que Renault (comme le révélait la CGT du centre technique de Lardy) pratiquait les mêmes falsifications aux émissions de CO2 et que les ingénieurs Stellantis de Carrières-sous-Poissy recevaient la même semaine un ordre de la hiérarchie de supprimer tous les mails et preuves des mêmes falsifications.
Je gagne 1000 fois plus que vous, mais eux gagnent 1000 fois plus que moi !
Dans son livre, Tavares revient sur sa rémunération de 100 000 euros par jour (samedis et dimanches compris), il explique : « En Europe, on confond allègrement les millionnaires et les milliardaires. Il est pourtant impossible de mettre sur le même plan un Carlos Tavares et un Jeff Bezos [principal actionnaire d’Amazon]. D’un côté, il y a les revenus à six chiffres, en millions d’euros, et de l’autre une richesse à neuf chiffres, en milliards de dollars. Ce ne sont ni les mêmes chiffres ni le même monde ! Être patron salarié, même d’une grande entreprise, ou son propriétaire, cela n’a rien à voir. » Ça donne le vertige, pauvre Carlos. On comprend son indignation et sa déconnexion, quand il commente sur LCI en octobre dernier le salaire mensuel du président Macron : 19 000 euros « à peu près [le] salaire d’un bon ingénieur de Stellantis avec cinq à dix ans d’expérience » ; rappelons que le salaire d’un tel ingénieur dans un centre technique Stellantis est en moyenne 20 % de cette somme, beaucoup n’hésiteront pas à aller réclamer la différence à leur direction !
Compétitivité, profits et suppressions massives d’emplois
Oui, Tavares le répète : il craint que l’unité du groupe Stellantis soit à terme menacée : sa branche américaine, plombée par le protectionnisme, pourrait être tentée de laisser les constructeurs européens à la merci de la voracité des Chinois, largement supérieurs technologiquement4. Ses choix stratégiques contestés auraient permis, dit-il, de pallier les insuffisances américaines et faire face à la voracité chinoise.
Mais pas de critique sur la politique de son successeur : « Il y a trois usines de trop en Europe et au moins une en Amérique. Il fallait immédiatement les supprimer. J’aurais pu le décider, cela aurait juste conduit à mon départ plus rapidement dans un contexte occidental fortement politisé. » L’ex-PDG souhaite bonne chance au nouveau malgré ses critiques sur la stratégie du groupe, car du point de vue des suppressions d’emplois ouvriers, la continuité est évidente.
Léo Baserli
1 « L’UE veut réduire de 37,5 % les émissions de CO2 des voitures neuves », L’Usine Nouvelle, 18 déc. 2018
2 « À Francfort, le patron de PSA Carlos Tavares fustige la “pensée unique” sur le CO2 », Challenges, 11 septembre 2019
3 ACEA, Making the transition to zero-emission mobility, 2019 Progress Report, Enabling factors for alternatively-powered cars in EU, Septembre 2019, page 3
4 « Je crains, et ce n’est que mon intuition, par définition personnelle et subjective, qu’un des scénarii possibles, il y en a beaucoup d’autres, soit qu’un constructeur chinois propose un jour de racheter les activités européennes de l’entreprise et que des Américains reprennent les activités nord-américaines pour se replier sur leur seul marché, comme l’a fait GM depuis une dizaine d’années. », Carlos Tavares, Un pilote dans la tempête, chap. 16