Nous publions ci-dessous une première résolution du Mouvement socialiste des travailleurs (MST)1.
Argentine. Élections 2023 : de la victoire de Milei au vote FIT-U, nos principales conclusions
Les Paso2 ont apporté des surprises et des changements dans les perspectives des élections générales. Nous partageons nos premières opinions sur plusieurs des questions centrales en débat : les raisons de la victoire de Milei3, l’ampleur du coup reçu par « Ensemble pour le changement »4 et l’Union pour la patrie5, le vote du Front de gauche des travailleurs6 (FIT-U) en général, et le résultat de notre liste, qui n’a pas gagné au niveau national mais a remporté une victoire importante dans la capitale du pays et dans plusieurs provinces.
La victoire de Javier Milei
Lorsque les premiers résultats ont commencé à être connus, la surprise a saisi la presse : Milei gagnait dans des districts clés. Cela s’est consolidée au fil des heures, jusqu’à ce qu’il soit certifié, à la fin du scrutin, que le candidat de « La Liberté avance » avait obtenu plus de 30 % des voix. Non seulement il a été le candidat à la présidence ayant reçu le plus de votes, mais il a également obtenu plus de voix que la somme des deux candidats de « Ensemble pour le changement » et la somme des deux candidats de l’Union pour la patrie.
Les raisons de son triomphe sont liées au fait qu’il a pu canaliser une grande partie du mécontentement accumulé contre le gouvernement et contre les partis qui ont gouverné, d’abord le PRO avec Macri et, ces quatre dernières années, le péronisme avec Fernández, qui ont conduit le pays à une catastrophe, où des millions de personnes vivent de plus en plus mal. Compte tenu du désastre de ce dernier gouvernement du PJ, on peut dire qu’une fois de plus, comme cela s’est déjà produit dans d’autres pays, au Brésil et ailleurs, le soi-disant progressisme qui « s’ajuste » lorsqu’il gouverne, finit par favoriser les autres déclinaisons de la droite, dans ce cas Milei, en raison de la frustration et du mécontentement général qu’il suscite.
Ainsi, dans le contexte général de la situation de crise, avec une économie de plus en plus hors de contrôle ces derniers mois, avec une dernière semaine marquée par un nouveau bond du dollar, le meurtre d’une jeune fille à Lanús7 et l’assassinat par la police d’un militant sur l’Obélisque8, a généré une combinaison de crise économique et sociale qui a fini par renforcer la colère contre les gouvernements au moment du scrutin, notamment à travers le vote pour Milei, et d’autre part exprimée dans le fait que tout un secteur de la population n’a pas voté (la participation n’a été que de 68 %9) et qu’une autre partie de la population a voté blanc10.
Le fait que plus de sept millions de personnes aient voté pour un candidat ouvertement d’extrême droite, rétrograde et opposé aux droits sociaux, montre un glissement à droite de la société, au moins en termes électoraux, c’est indéniable. Mais il est aussi indéniable que cela va de pair avec un vote de colère de la part de larges pans de la population, qui l’ont utilisé comme un moyen de sanctionner les autres partis. Et maintenant, ce réactionnaire « incorrect » est un vainqueur possible de l’élection générale.
Le scrutin en général, avec des résultats élevés pour les nuances de droite ou pour Massa11, l’architecte du pacte avec le FMI, confirme ce que nous avons soulevé tout au long de la campagne : la gauche doit se préparer pour la période complexe et tendue qui vient dans le pays. Il y aura plus de FMI, plus d’austérité et de tentatives de supprimer des droits sociaux et démocratiques, avec plus de répression pour appliquer cette politique et plus de ripostes et de luttes sociales en réponse.
Coup dur pour le PRO et le PJ
Les deux principales coalitions du pays, celles que tous les grands médias pro-gouvernementaux et d’opposition considéraient comme les principales forces, et qu’ils aidaient avant dimanche, ont subi un énorme coup politique lorsqu’elles ont toutes deux été battues par Milei. Cela met leurs structures de direction en crise et plonge encore plus régime capitaliste du pays dans la crise et l’incertitude quant à l’avenir.
Dans le cas d’Ensemble pour le changement, c’est finalement Patricia Bullrich12, avec le soutien de Macri, qui l’a emporté sur Larreta13, qui a eu un résultat très faible. La candidate n’a même pas atteint 20 % des voix, douze points derrière Milei qui lui a volé son espace et son discours, apparaissant aujourd’hui comme plus crédible pour qui adhère à ce type de profil et de propositions. Bullrich devra beaucoup ramer pour essayer d’atteindre le second tour, ce qui n’est pas du tout garanti. Elle se dirige vers une situation très difficile aux élections générales, bien qu’en même temps il ne soit pas exclu qu’elle puisse progresser en raison de la crise des partis de gouvernement.
Dans le cas du péronisme et de l’Union pour la patrie, leurs plans n’ont pas du tout fonctionné. Seul Kicillof14 a pu gagner dans la province de Buenos Aires, quoique de justesse. Sergio Massa avait pour objectif d’être le candidat ayant le plus de votes individuels, même si sa coalition n’arrivait pas en tête des votes, et d’être ainsi mieux préparé pour les élections générales. Il n’y est pas parvenu, se classant loin derrière Milei et, au total pour sa coalition, un peu derrière Ensemble, alors qu’au sein du front, ce qu’on appelle le kirchnerisme15 est dans le flou. Quoi qu’il en soit, si Milei est en tête, Massa essaiera de profiter au second tour de la crainte d’une grande partie de la population de le voir devenir président. Massa fera tout ce qui est en son pouvoir pour y parvenir, d’abord en prenant toutes les voix de Grabois16, qui a fait un bon score, avec plus de 5 %, et à partir de là, il essaiera d’attirer un autre groupe qui n’a pas voté, ou même qui a voté Larreta. Son handicap est qu’il représente le gouvernement, ceux qui appliquent les plans d’ajustement au quotidien, comme la dévaluation récente. Ce cadre crée des difficultés.
Le vote national du Front de gauche
Notre front a obtenu un peu plus de 628 000 voix dans la catégorie présidentielle, le binôme Bregman-del Caño17 l’emportant sur notre ticket Solano-Ripoll, avec un peu plus de voix dans la répartition pour les législatives. Le résultat obtenu s’inscrit dans le cadre complexe d’un scénario général de crise et de glissement vers la droite, qui constituait une difficulté pour la gauche, et avec de plus une candidature de Grabois qui a servi à contenir le mécontentement à l’intérieur du péronisme. Dans ce contexte, le vote FIT-U a été quelque peu inférieur à celui de 2019, mais il a également reflété un fait évident : la consolidation d’une frange importante d’électeurs qui continuent à choisir la gauche anticapitaliste et socialiste malgré la situation difficile. C’est une donnée à souligner. Quelque chose qui, par exemple, n’est pas arrivé au Nouveau MAS de Castañeira18, qui a parlé pendant la campagne de « renouveler la gauche », mais avec un sectarisme marqué à l’égard du FIT-U et un rejet de l’unité qui lui ont fait perdre beaucoup de voix, tombant à un très faible 0,35 %, ce qui constitue un fort échec.
Le maintien de cette importante base sociale ouvrière et populaire est une conquête de notre front qui mérite d’être revendiquée et qui confirme la valeur d’un espace d’unité de la gauche au-delà de toutes ses faiblesses. Dans ce cadre, il est également bon de noter que nous n’avons pas pu progresser dans ce cas, ni attirer une nouvelle partie des mécontents, ni faire en sorte qu’une nouvelle frange choisisse la gauche comme vote sanction. Cela témoigne, à notre avis, des problèmes de politique et d’orientation que connaît notre front et que nous avons soulignés avec insistance toutes ces années, avant et pendant la campagne électorale.
Sur la base de ce vote général du FIT-U, nous apprécions la campagne menée par notre liste « Unité des militants et de la gauche » entre notre MST et le PO, qui s’est battue dans tout le pays et a gagné à Caba19, Salta, Catamarca et Chaco, et dans certaines catégories dans d’autres provinces, avec une grande campagne dans la province de Buenos Aires, menée par Alejandro Bodart, candidat au poste de gouverneur. Et nous l’avons fait en proposant un projet de front plus fort, qui se réunit davantage, qui soit plus démocratique, qui promeuve l’organisation permanente des luttes ouvrières et populaires, de sorte qu’il cesse d’être un simple front électoral, ce que le PTS ne se propose pas, à tort. Le fait de ne pas avoir gagné au niveau national à cette occasion n’élimine pas la nécessité de continuer à lutter pour notre projet de front. Au contraire, cela renforce ce besoin. C’est pourquoi nous mettons tout ce que notre liste a obtenu au service de la poursuite de la lutte pour améliorer et renforcer le Front de gauche, afin qu’il puisse jouer un rôle positif dans le pays à l’avenir.
Bien entendu, dans le cadre de cette lutte politique, nous nous préparons à mener une dure bataille électorale lors de la campagne pour les élections du 22 octobre, à partir des listes communes de l’ensemble du Front de gauche dans tout le pays, derrière le binôme gagnant pour se présenter à la présidentielle et avec des camarades du MST intégrant les listes du FIT-U partout. Et nous le ferons avec force et contre toutes les listes de Milei, du PJ, d’Ensemble pour le changement… Nous le ferons pour ouvrir un nouveau chapitre de la lutte contre les plans qui s’annoncent, une lutte que nous approfondirons contre le candidat et le parti qui seront finalement au pouvoir à la fin de l’année.
Notre victoire très importante dans la capitale avec Cele Fierro
S’il y a un fait notoire et majeur aux primaires du FIT-U, c’est que dans la capitale du pays, avec Cele Fierro comme pré-candidate pour les élections législatives et Vanina Biasi pour celle du chef du gouvernement, nous avons gagné, avec plus de 65 % des voix face à la liste du PTS et d’IS. Ainsi, ces deux camarades seront les candidates du front en octobre, ce qui est un résultat remarquable pour nous.
Dans cette circonscription clé, nous allons vers une grande bataille politique contre Jorge Macri, candidat du PRO, contre les péronistes qui présentent Santoro20, contre Marra candidat de Milei. Et avec notre camarade du MST Cele Fierro en tête, nous mènerons la lutte pour renforcer le Front de gauche à la Chambre des députés, une tâche politique énorme et importante que nous assumons avec détermination et qui nous a valu le soutien de milliers de travailleurs, de travailleuses et de jeunes dans la capitale ce dimanche 13. C’est là qu’il est le plus probable d’obtenir des députés de gauche et de notre front, pour augmenter la représentation de notre bloc.
Nous mènerons cette bataille politique de toutes nos forces, car elle est vraiment nécessaire et en raison de l’importance politique de la capitale du pays. C’est pour cette même raison que nous invitons tous nos sympathisants, sympathisantes et amis à se joindre à la campagne, car l’obtention d’un ou de plusieurs sièges au sein de la Chambre sera une nouvelle conquête politique et de lutte du Front de gauche et de notre parti, que nous mettrons au service du renforcement de toutes les luttes politiques et sociales qui se déroulent dans la capitale et dans l’ensemble du pays.
Le 14 août 2023
Dossier sur les élections primaires (Paso) en Argentine d’août 2023
- Crise sociale, dévaluation, l’Argentine au bord du gouffre : l’extrême droite en force et les défis de la gauche révolutionnaire
- Interview. Questions à Myriam Bregman, du PTS
- Interview. Questions à Gabriel Solano, du PO
- Résolution du MST
- Interview. Questions à Manuela Castañeira, pré-candidate aux présidentielles pour le Nuevo MAS, Argentine.
1 Le MST est un parti trotskiste argentin, membre de la Ligue internationale socialiste.
2 Il s’agit des élections primaires de chaque parti ou coalition désirant se présenter à l’élection présidentielle argentine. Elles ont toutes lieu simultanément et sont ouvertes à toute la population. Elles sont obligatoires, car le nombre de votants à chacune d’elle conditionne la possibilité de se présenter aux élections générales par la suite. Les dernières se sont tenues ce 13 août 2023.
3 Javier Milei, candidat de l’extrême droite.
4 Coalition de droite, autour du parti Proposition républicaine (PRO), de l’ex-président Mauricio Macri.
5 Coalition constituée autour du Parti justicialiste (PJ), aujourd’hui au pouvoir, issu de la tradition du président Juan Perón, militaire et politicien bourgeois des années 1940-50.
6 Coalition de quatre partis trotskistes : Mouvement socialiste des travailleurs (MST), Parti ouvrier (PO), Parti des travailleurs socialistes (PTS), Gauche socialiste (IS).
7 Le 9 août, dans cette ville du sud de Buenos Aires, une fillette de 11 ans est décédée en tombant violemment suite au vol de son sac à dos par deux motards. Le soir, un rassemblement devant le commissariat a donné lieu à des bousculades avec la police.
8 Le 10 août, Facundo Morales, militant du groupe Rébellion populaire (MRP), est mort d’un arrêt cardiaque après avoir été arrêté et asphyxié par la police durant une manifestation, devant l’obélisque de la place de la République à Buenos Aires.
9 L’abstention a atteint sept points de plus qu’à la présidentielle de 2019.
10 5 %, contre 3 % en 2019.
11 Sergio Massa, ministre de l’Économie et candidat de l’Union pour la patrie.
12 Présidente de PRO, ancienne ministre de la Sécurité.
13 Horacio Rodríguez Larreta, maire de Buenos Aires.
14 Axel Kicillof, gouverneur de la province de Buenos Aires.
15 Mouvement politique se revendiquant du centre gauche et du péronisme, nommé en référence à Néstor Kirchner, président de 2003 à 2007 et Cristina Kirchner, présidente de 2007 à 2015.
16 Candidat aux primaires péronistes, plutôt de centre gauche.
17 Myriam Bregman et Nicolás del Caño, membres du PTS.
18 Parti trotskiste qui n’a jamais intégré le FIT-U, malgré ses demandes, et a présenté son candidat, Manuela Castañeira.
19 Acronyme en espagnol de Ville autonome de Buenos Aires, capitale du pays.
20 Leandro Santoro, député sortant.