Nos vies valent plus que leurs profits

Sur un piquet de travailleurs du transport – vidéo

Edit : regardez la vidéo tournée sur le piquet de grève du mardi 3 janvier :

 

Réseau TICE (Transports intercommunaux de centre-Essonne), Bondoufle, le 03 janvier 2023

 

Une bonne façon de commencer l’année : la lutte !

Il est dix heures sur le piquet du dépôt TICE de Bondoufle, dont les salariés transportent quotidiennement les 87 000 usagers de l’agglomération d’Évry. Un brasero fume, les conversations vont bon train. Ce premier jour de grève est une réussite. « 23 ans de boîte, je n’ai jamais vu autant de monde ! – La direction ne s’attendait pas à nous voir si nombreux aujourd’hui ! » Depuis quelques jours, elle avait en effet commencé un travail de sape. Raté. « Sur 370, on est plus de 200 en grève. Et certains qui viennent de rentrer de vacances se sont inscrits aujourd’hui, sous nos yeux, donc ils rejoindront la grève jeudi. » « Quelques scolaires sont sortis… pour le reste, il y a du monde aux arrêts ! – Mais ce n’est pas nous qui bloquons, c’est la direction. » L’unité syndicale est un autre sujet de satisfaction.
Les conditions de travail sont aussi un sujet de conversation. « Mon dernier service ? Je suis parti à 3h30 de chez moi pour commencer à 4h30 ; une coupure à 9h, puis je finis le service à 18h50 ! Et avec les bouchons je mets encore une heure à rentrer chez moi. » « Avec ces services aussi long, tu finis avec le dos en compote. La dernière fois j’étais tellement cassé que c’était même difficile de faire des câlins avec madame ! »

« Une seule revendication : l’augmentation des salaires. »

Mais cette grève est essentiellement une grève pour une augmentation de salaire. La direction refuse de monter à la hauteur de l’inflation. « Depuis trois ans on n’a pas eu d’augmentation. On nous parle aujourd’hui de 3 %. Mais l’inflation est à 10 % ! » « Ils disent qu’ils n’ont pas d’enveloppe pour nos salaires. En revanche pour payer des caméras, des huissiers, une sécurité… – Et une entreprise de conseil ! Quels conseils sur le métier, nous, conducteurs, on ne pourrait pas donner ? C’est nous qui connaissons le terrain. »
Au-delà des prétextes, une des raisons profondes au refus de la direction, c’est que la réorganisation générale du transport en Île-de-France, par le biais d’appels d’offres, va bientôt toucher le dépôt. « Avec les appels d’offres qui arrivent, on va être repris par Keolis ou Transdev. Tout ce qu’on a comme primes risque de sauter avec le changement d’entreprise. Mais ils sont obligés de garder le salaire de base. C’est pour ça qu’ils ne veulent pas l’augmenter. – Et le directeur espère se faire embaucher par la nouvelle boîte, en montrant qu’il est capable de faire des économies sur notre dos. »

Une grève qui va durer ?

Sous un barnum, des collègues jouent aux dominos avec application. Pour la stratégie des jours qui viennent, c’est un peu plus flou : « On attend de voir ce que va dire le directeur. » Un délégué : « On vit la grève au jour le jour. Peut-être qu’il faudrait faire un tract pour les usagers ? – On ne les a pas vus pour l’instant, mais c’est sûr qu’ils comprennent, même si c’est le jour de la rentrée. Ils savent qu’on ne fait pas ça par plaisir, et eux aussi l’inflation ça les touche. – Le ticket a augmenté en vente à bord, à 2,5 euros ! Le Navigo aussi. »
Le sentiment général est qu’il faut attendre, et tenir. « On attend que la direction revienne négocier. S’ils font une bonne proposition, on arrête la grève ! – Mais ils font la politique de l’autruche. On ne les voit pas, ils ont disparu ! » Dans certains conflits, la direction fait en effet le choix de la montre, pour essayer d’épuiser les grévistes.
Si le choix de la direction était en effet d’enliser le conflit, comment profiter du temps de la grève ? Des milliers d’ouvriers travaillent dans la grande zone industrielle où se trouve le dépôt, et klaxonnent souvent en passant. Une façon d’accentuer la pression sur le patronat du secteur serait peut-être d’aller discuter avec eux augmentations de salaire – eux aussi sont touchés par l’inflation. Et peut-être les prendre à bord de la grève ?

En attendant, des palettes ont été livrées pour entretenir le brasero : le feu de la grève n’est pas près de s’éteindre. Une musique chaloupée sort d’une petite tente ; un collègue sert du thé à la ronde. Une jeune conductrice : « C’est ma première grève. L’ambiance ? Je la trouve parfaite. »

Simon Vries