Stockage carbone, ensemencement des nuages, pile à combustible : les nouvelles technologies foisonnent pour faire mine de répondre au dérèglement climatique. Peu ont fait leurs preuves en termes d’efficacité, d’impact, voire de réalisme. Mais qu’importe, il s’agit surtout de doper la filière à grand coup de subventions. L’Union européenne a ainsi débloqué 17,5 milliards d’euros sur six ans pour le Fonds pour une transition juste, 5,4 milliards pour le programme Life… sur la période 2021-2027.
Présentée comme la principale perspective, la transition électrique percute aujourd’hui toute l’industrie automobile (et surtout ses salariés !). Pas sûr que l’écologie en ressorte gagnante : produire un véhicule électrique pollue bien plus qu’un véhicule thermique, ce qui entame sérieusement l’avantage de ne pas émettre de CO2 pendant son utilisation. Surtout, cela ne fait que déplacer le problème : si l’utilisation d’un véhicule électrique est plus propre, l’électricité nécessaire à son fonctionnement reste majoritairement produite à partir de charbon ou de gaz naturel (près de 60 % en 2022) à l’échelle mondiale. De plus, le capitalisme n’abandonnerait jamais une source de profit comme le pétrole, et l’énergie fossile économisée sera simplement utilisée ailleurs. On est donc loin d’une transition « propre ». Mais ce qui intéresse les capitalistes, c’est que la reconfiguration de la filière automobile s’accompagnera du développement de l’industrie minière, et de celle des batteries électriques, du renouvellement des flottes de véhicules… Autant d’activités en partie financées par l’argent public, très polluantes mais très lucratives !
La lutte pour la préservation du climat ne pourra passer par le seul développement technique, le système capitaliste le limitant par définition à sa capacité à générer des profits. Ces nouvelles technologies ne pourraient être « propres » que si elles étaient mises au service d’une production organisée pour répondre aux besoins de l’immense majorité de la population.
Adrian Lansalot
Pour en savoir plus
Sans transition : une nouvelle histoire de l’énergie, de Jean-Baptiste Fressoz
Seuil, 2024, 24 €
Comme on l’apprend à l’école, vous pensiez sans doute que les différentes révolutions industrielles réalisées par le capitalisme avaient, en dépit des tares de celui-ci, permis néanmoins des transitions successives d’une énergie à l’autre : du bois au charbon, du charbon au pétrole… puis au renouvelable généralisé. Eh bien non. Fressoz, faits et documents à l’appui, montre que ces transitions sont imaginaires et que, au contraire, il y a eu accumulation (« symbiotique », dit-il) des différentes matières premières. Prouesses technologiques sans doute, mais effets rebonds, et énorme accumulation de toutes les énergies fossiles au bout de 200 ans d’accumulation capitaliste. Pour résumer : « L’humanité n’a jamais brûlé autant de pétrole et de gaz, autant de charbon et même autant de bois. »
Plus qu’une « nouvelle histoire de l’énergie », cet essai très documenté est une « histoire matérialiste » du capitalisme. Et quelle histoire ! Autre diagnostic très bien formulé par l’auteur : ladite transition énergétique « est l’idéologie du capital au XXIe siècle. Grâce à elle, le mal devient le remède… » Un livre vertigineux dont, pourrait-on espérer, le greenwashing ne pourrait se remettre.
Jean-Baptiste Fressoz est un historien des sciences, des techniques et de l’environnement, par ailleurs proche des milieux « décroissants », tout en sachant que la galaxie décroissante est vaste. En tout cas, dans ce livre, il s’en tient aux faits, sans délibérément proposer de solution. Mais, comme historien et scientifique lanceur d’alerte, c’est très efficace.
H.C.
La Ruée minière au XXIe siècle : enquête sur les métaux à l’ère de la transition, de Celia Izoard
Seuil, 2024, 23 €
Un jour de novembre 2016, sur le parking du Walmart d’une ville du Montana, voici qu’il « pleut » des dizaines d’oies sauvages. Fiction ? Plutôt une conséquence bien réelle de l’exploitation minière aux États-Unis.
Empoisonnement des terres aux métaux lourds, explosion des besoins en énergie et émissions de gaz à effet de serre : Celia Izoard dresse ici un tableau aussi sinistre qu’objectif des impacts sur l’environnement de l’industrie minière. Alimentée par la demande des secteurs de l’automobile, de l’électronique et de l’armement, celle-ci est en pleine expansion. Cela au nom d’une transition dopée aux minerais extraits aux quatre coins du monde, qui n’a rien d’« écologique » ! Une excellente enquête qui complète l’ouvrage précédent.
Adrian Lansalot
Accumuler du béton, tracer des routes : une histoire environnementale des grandes infrastructures, de Nelo Magalhães
La Fabrique, 2024, 18 €
Écrit par un ingénieur spécialisé dans les questions écologiques, ce livre s’intéresse aux dégâts écologiques des infrastructures routières et retrace leur histoire. Le choix du tout-automobile a en effet pour conséquence la destruction des sols, des cours d’eau et de régions entières. Et la fabrication du béton à une échelle toujours plus grande est extrêmement polluante et génère des déchets quasiment impossibles à recycler. L’auteur montre bien les limites des politiques écologiques de l’État et des industriels, qui ne remettent jamais en question l’impasse dans laquelle ils se sont engagés.
Robin Klimt
Le temps des forêts, film documentaire (2018) de François-Xavier Drouet
Un documentaire pour comprendre l’évolution des forêts depuis 50 ans à travers des reportages dans le Morvan, les Landes, les Vosges et le Limousin. On y découvre que l’industrialisation de la sylviculture avance à grands pas : monocultures, pesticides, mécanisation lourde. Face à cette exploitation intensive du bois, des témoignages nous montrent pourquoi il est vital de garder une forêt vivante. Et sur le même sujet, lire nos deux articles dans ce même dossier :
- La filière bois : la forêt trinque
- Industrie du bois : Ikea, l’art du greenwashing et de l’auto-certification
TotalEnergies au collège de France : le loup prend ses aises dans la bergerie
Au Collège de France, prestigieuse institution de recherche scientifique, le programme Avenir commun durable, créé en 2021, compte parmi ses généreux donateurs… TotalEnergies. Et le thème de 2025 est… le climat ! La ficelle est grosse, mais pas nouvelle : dès les années 1970, Exxon connaissait le lien entre les énergies fossiles et le changement climatique. Aussi, à partir des années 1990, le groupe finance des instituts qui mettent en doute l’existence du changement climatique, son lien avec les activités humaines, et surtout avec les activités d’Exxon !
Aujourd’hui, le doute n’est plus permis, et il faut finauder : plutôt que de falsifier les connaissances scientifiques, autant choisir celles qui sont produites ou non. Au programme de la chaire du Collège de France, place aux « solutions » technologiques comme la géo-ingénierie1 et à la finance verte, dont l’échec est pourtant patent2. On cherchera à grand peine la moindre recherche sur les causes des dérèglements actuels !
TotalEnergies se paye donc le luxe non seulement de se présenter comme ne faisant pas partie du problème, mais même comme étant la solution. Comme le rappelle Stéphane Foucart dans Le Monde, (5 mai 2025), voilà qui ressemble à s’y méprendre à la stratégie de l’industrie du tabac qui finançait la recherche pour détourner l’attention du lien entre cigarette et cancer du poumon !
Martin Castillan
Sommaire du dossier
- Un petit geste pour la planète, renverser le capitalisme !
- Le marxisme : un outil écologique
- Crise écologique : que dit la recherche scientifique ?
- « Transition verte », « solutions technologiques », disent-ils. Surtout gros profits !
- « L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage ! »
- « La filière bois – la forêt trinque ! »
- Industrie du bois : Ikea, l’art du greenwashing et de l’auto-certification
- Trump en guerre contre l’écologie
- Moins ! La décroissance est une philosophie, de Kohei Saito
- Premières secousses, par Les Soulèvements de la Terre
- Overshoot : How the World Surrendered to Climate Breakdown, d’Andreas Malm
- White Skin, Black Fuel: On The Danger Of Fossil Fascism, d’Andreas Malm
- La chauve-souris et le capital : stratégie pour l’urgence chronique, d’Andreas Malm