Nos vies valent plus que leurs profits

Vencorex : le nationalisme comme diversion face à la casse sociale

Jeudi 10 avril, le tribunal de commerce de Lyon a annoncé que seule l’offre de reprise d’une cinquantaine de salariés de Vencorex par BorsodChem (filiale hongroise d’un groupe chinois) serait retenue. Près de 400 salariés en moins, dont une partie a été licenciée avant même le délibéré. Une décision révoltante alors que les patrons de la chimie continuent d’engranger des profits faramineux en 2024 : 3,3 milliards d’euros pour Air Liquide, 1,5 milliard pour Arkema.

Patrons de tous les pays contre les travailleurs

Construite en 1915 pour produire du gaz moutarde, la plateforme s’est reconvertie après-guerre dans des applications civiles, à usage parfois militaire tel le défoliant fabriqué dans les années 1970 et utilisable comme agent orange dans la guerre du Vietnam. Successivement propriété de Gillet, Rhône-Poulenc devenu Rhodia, Lyondell, Perstorp, PTT-GC et désormais BorsodChem, la plateforme a connu des patrons français, américains, suédois, thaïlandais ou chinois. Leur politique a toujours été celle du profit maximum. Ainsi les plaintes formulées devant l’Assemblée nationale par Béal, le PDG de Vencorex nommé en mars 2024 par les actionnaires thaïlandais pour fermer l’usine, sont les mêmes que celles émises par les représentants du syndicat patronal France Chimie : les prix de l’électricité et du gaz en Europe depuis l’invasion de l’Ukraine et une sous-utilisation des usines. France Chimie estime ainsi que l’Europe utilise seulement 65 % de ses capacités de production de chlore. De plus, les produits de spécialités, comme les isocyanates destinés notamment aux peintures automobiles, subissent le ralentissement de ce secteur. La question n’est donc pas de défendre la souveraineté nationale, mais de prendre sur les profits pour maintenir les emplois et les salaires.

C’est une toute autre politique qu’ont proposé les directions syndicales CGT, CFDT, CFE-CGC, ainsi que les représentants du Nouveau Front populaire passés sur le piquet des travailleurs et travailleuses de Vencorex. Fabien Roussel demande à relancer la machine judiciaire du redressement. Jean-Luc Mélenchon expliquant vouloir défendre « un savoir-faire indispensable si on ne veut pas dépendre de puissances étrangères ». François Ruffin enfonce le clou : « Notre pays continue d’être bradé aux financiers étrangers. » Même Philippe Poutou apporte sa petite pierre à ce concert en affirmant que « le seul repreneur viable, ce serait l’État ». Tous ont présenté la nationalisation comme perspective pour éviter les licenciements, les écologistes en ont fait une proposition de loi portée par Cyrielle Chatelain. Une façon de passer sous silence la seule perspective viable pour les travailleurs, la lutte commune à l’échelle du secteur.

Les capitalistes de la chimie licencient en masse et tuent à petit feu

La campagne pour « sauver la plateforme » lancée par Christophe Ferrari, maire PS de la ville où est implanté Vencorex, passe sous silence le fait que les patrons ne se sont pas seulement gavés de profits sur le dos des salariés. Ils ont aussi sacrifié leur santé. Rhodia, devenu Solvay, a perdu ses procès aux prud’hommes contre plusieurs centaines de travailleurs exposés à l’amiante jusqu’en 2005, soit sept ans après son interdiction. Les produits de Vencorex, les isocyanates, représentent l’une des principales causes d’asthme professionnel. Les rejets de dioxine ont pollué les sols autour de la plateforme : l’ARS recommandait en 2022 de ne pas consommer les légumes des potagers ou d’éviter de mettre ses mains à la bouche après avoir touché la terre. La même année, une enquête, commandée par la métropole et l’agence de l’eau, observait une « dégradation importante de la qualité autour de la plateforme ».

Le 17 avril dernier, Solvay affirmait dans la presse être « une entreprise responsable qui assume les conséquences de son passé industriel et traite les sujets de pollution (sols et nappes) en allant souvent au-delà de ce qui est requis par la réglementation ». En septembre, le même Solvay annonçait 68 licenciements sur la plateforme chimique de Salindres (Gard) au motif d’un « durcissement des réglementations française et européenne sur les PFAS ». Tant que les travailleurs et travailleuses ne leur arracheront pas le pouvoir, ces capitalistes continueront de traiter leurs salariés et les ressources naturelles comme un coût à réduire.

La mobilisation qui s’est maintenue deux mois durant à Vencorex montre une détermination des salariés à ne pas subir. Les salariés ont arraché de meilleures conditions de départ, notamment 40 000 euros de prime supra légale. C’est le résultat de la lutte collective, avec blocage et piquet de grève maintenu jour et nuit. Au-delà des indemnités, c’est aussi la dignité de celles et ceux qui refusent de se laisser écraser qui s’est affirmée. Des liens ont été noués avec les travailleurs et travailleuses de Michelin, d’Auchan, de la chimie, mais faute de véritable coordination, la riposte est restée dispersée. Un avertissement pour les 15 000 salariés que France Chimie prévoit de licencier dans les trois prochaines années.

27 avril 2025, Correspondant

 

 


 

 

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