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Dos Madres, film de Victor Iriarte

sorti en France en juillet 2024

Vera est sténotypiste pour les tribunaux madrilènes et retranscrit tous les débats auxquels elle assiste. Elle côtoie donc juges, avocats, manipule de nombreux dossiers. Et enquête pour son propre compte : elle est convaincue que l’enfant qu’elle a eu vingt ans plus tôt, que les médecins ont déclaré mort-né et dont elle n’a pas pu trouver la moindre trace – ni corps, ni dossier – est vivant quelque part : mais ses demandes se heurtent à un mur administratif infranchissable et un notaire dont le nom figurait sur un document lui conseille de « laisser tomber et de tout oublier de cette histoire ».

La voix off de Vera présente le film comme un thriller, « une histoire de violence, de vengeance ». Les premières images nous montrent en effet une femme déterminée, n’hésitant pas devant les coups tordus pour parvenir à ses fins : retrouver son fils.

Mais le film n’a rien d’un thriller. Le parti pris de sophistication des plans, d’esthétisme – il est vrai que les images sont magnifiques, la musique superbe – ralentit une action où le metteur en scène veille à prendre scrupuleusement son public à contre-pied.

En tout cas, Vera finit par obtenir l’adresse de son fils, Egoz, et de sa mère adoptive, Cora. Les trois se retrouvent dans des scènes qu’ils vivent avec une sobre émotion.
Il s’agit d’un premier film et la volonté d’une mise en scène savante, de présenter des compositions d’une esthétique millimétrée tient une place trop importante, affaiblissant peut-être le message.

Cela dit, il reste tout de même un message, non seulement pour dénoncer cet épisode de l’histoire du franquisme exhumé par un reportage en 2010, mais pour entrebâiller les voies de la reconstruction pour ces familles mutilées. Le film est elliptique, un peu trop peut-être, mais les lacunes volontairement laissées par le scénario et la mise en scène forcent à s’interroger, non seulement sur les faits, mais sur les réactions possibles face à eux.

Jean-Jacques Franquier

 

 


 

 

De 1940 à 1950, dans l’Espagne franquiste, de l’ordre de 300 000 enfants ont été, de cette façon ou selon d’autres scénarios, enlevés à leur mère et donnés à l’adoption. Il s’agissait, au début, d’un délire eugéniste élaboré par un psychiatre militaire, Antonio Vallejo-Nájera, pour retirer les enfants des couples réputés républicains et les confier à des familles ou des institutions franquistes : « Les relations intimes existant entre le marxisme et l’infériorité mentale sont évidentes et concluent, sur la base de ce postulat, que la mise à l’écart des sujets, dès l’enfance, pourrait affranchir la société de cette idéologie… », déclarait ce proche de Franco. Une histoire qui rejoint donc les nombreux enlèvements d’enfants avec le même genre de théories fumeuses : on songe au Chili, à l’Argentine – comme ce que raconte Luz, ou le temps sauvage d’Esa Osorio. Ou encore au Canada, avec ce qu’on nomme la « rafle des années 1960 », où environ 20 000 enfants des Premières nations, métisses et inuits, furent enlevés à leur famille pour être « éduqués » dans des pensionnats gérés par différentes églises.

Mais, après la mort de Franco, l’histoire s’est poursuivie pour des raisons uniquement lucratives…

J.-J. F.