Les rassemblements contre les fermetures de services d’urgence dans les petites communes se multiplient. Ils étaient 1500 à Feurs près de Saint-Étienne fin avril. 6000 à Langres en Haute-Marne fin septembre. Et ce sont près de 1000 personnes qui sont montées à la préfecture de Quimper samedi dernier pour s’opposer à la fermeture nocturne des urgences de l’hôpital de Carhaix.
Depuis plusieurs semaines déjà, les habitants de Carhaix et ses environs se mobilisent. Le 4 septembre, une manifestation regroupait 3000 personnes (pour une population de 7000 habitants). Deux semaines plus tard, les manifestants envahissaient les locaux de l’Agence régionale de santé (ARS) de Quimper. Après avoir fermé les urgences de Carhaix tout l’été faute de soignants, l’ARS s’était engagée à les rouvrir pour le 1er septembre. Malgré ces promesses, les urgences sont toujours fermées la nuit. Sur des pancartes, on pouvait lire : « Je suis mort avant d’arriver à Morlaix ». Le comité de défense de l’hôpital de Carhaix appelait à ce rassemblement devant la préfecture du Finistère pour continuer à mettre la pression sur les autorités et obtenir des moyens suffisants pour assurer la continuité des soins dans le Centre Finistère.
« Ici on est loin de tout, on a besoin d’un service de santé correct »
La situation dans cette zone rurale et éloignée des hôpitaux de Brest, Morlaix et Quimper est plus qu’alarmante. Il faut faire au moins une heure de route pour atteindre un hôpital où les urgences sont ouvertes la nuit. Cette situation a entraîné deux décès ces dernières semaines. Mi-septembre, une personne âgée vivant dans les environs de Carhaix est décédée sur le trajet pour aller à l’hôpital de Quimper après avoir chuté. Et dans la nuit du 27 au 28 septembre, une petite fille de six mois est décédée faute de prise en charge. Les secours arrivés sur place vers cinq heures du matin n’ont pas réussi à la réanimer.
Depuis cet été, les urgences de Carhaix ferment la nuit. Entre 18 h 30 et 8 heures du matin, il faut appeler le 15 pour y avoir accès, lequel peut soit envoyer une équipe d’urgence soit renvoyer vers un autre hôpital de la région. « Ici on n’a pas S0S médecin, on n’a pas de clinique, on n’a rien à proximité, donc on ne peut pas se permettre d’avoir des urgences vitales à plus d’une heure de route, c’est pas possible », s’insurge une auxiliaire de puériculture de l’hôpital de Carhaix. « C’est une perte de chance, une perte de temps. » Une habitante de Carhaix renchérit : « Ici on est loin de tout, on a besoin d’un service de santé correct. »
Une politique austéritaire meurtrière
Cet été, c’est un service sur deux qui a fonctionné de manière dégradée et plus de 160 services qui ont fermé de manière impromptue dans 60 départements par manque de personnel (selon l’enquête de Samu-Urgences de France). La surmortalité passe un cap : on estime qu’entre 1500 et 2000 morts par an aux urgences seraient évitables avec un plan massif de financement et de recrutement.
« L’hôpital fait face et fera face », s’est félicité le gouvernement, en annonçant avec fracas une revalorisation de 25 % des heures de nuit (moins de 25 euros brut de plus par nuit et pour certaines catégories de personnel seulement !) et des primes ridicules ici ou là. Et cela sans annoncer une hausse du financement puisque le ministre des Finances annonce un nouveau plan d’économie dans le secteur de la santé.
La violence est du côté de ceux qui ferment les hôpitaux
Lors de la manifestation à Quimper samedi dernier, une délégation a été reçue : le préfet a promis un « retour à la normale le plus vite possible », mais sans s’engager sur la moindre date. Après des heures de manifestation calme, rythmée par les binious et les danses bretonnes, le ton est monté d’un cran. Légers heurts avec la police, feux de pneus, catapulte de fortune amenée par les manifestants en symbole de leur colère. Déjà en 2008, la maternité avait été menacée de fermeture et les manifestants avaient forcé les grilles de la préfecture avec un camion pour se faire entendre, obligeant les pouvoirs publics à revenir sur leur décision. Mais de quel côté se situe la violence ? Samedi dernier, à nouveau, les seules réponses des pouvoirs publics ont été les gaz lacrymogènes. Des images qui ont suscité l’émoi à l’échelle du pays, où l’on voit retraités, élus, militants politiques et syndicaux se faire asperger de gaz. Au-delà de cette répression policière, la violence inacceptable est du côté de ceux qui ferment les services hospitaliers, faute de vouloir embaucher, privant la population de soins vitaux : la conséquence de leurs économies, c’est la mort d’êtres humains bien réels, en chair et en os.
Usagers, hospitaliers, même combat !
La mobilisation des habitants, privés d’un accès élémentaire aux soins, rejoint naturellement celle des soignants dont les conditions de travail se détériorent de plus en plus. Celles et ceux qui font tourner les services et sont confrontés à des conditions de travail en sous-effectif, toujours plus difficiles. En ce moment, il y a un retour des mobilisations, même si elles sont encore trop partielles, locales et désordonnées. Toutes les semaines dans les journaux locaux, on peut lire : grève dans un Ehpad, débrayage dans un service de pédiatrie, les ambulanciers en grève devant le CHU…
À partir de ces poches de résistance qui se construisent un peu partout, il pourrait naître des coordinations plus larges et nationales, qui seraient en mesure d’inviter l’ensemble du personnel hospitalier à se mobiliser pour réclamer des changements radicaux.
Les soignants ont toute leur place à prendre dans cette lutte, en s’organisant dans les services pour discuter des problèmes auxquels ils sont confrontés et des solutions dont l’hôpital a besoin pour réellement faire face.
Un embryon de contestation de la politique de casse de l’hôpital émerge en ce moment dans le Finistère comme dans d’autres régions. C’est en joignant leurs forces qu’usagers et hospitaliers pourront faire plier le gouvernement et obtenir de meilleures conditions de travail pour le personnel et une meilleure prise en soins pour les usagers. La situation actuelle dans les hôpitaux appelle une mobilisation massive, pour arracher les moyens d’une prise en charge sérieuse et à la hauteur des besoins contre ceux qui saccagent l’hôpital public. Leurs économies, nos morts !
Correspondants