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États-Unis. Grève historique dans les hôpitaux Kaiser ! Qu’en résultera-t-il ?

Traduction de l’article des camarades américains de Speak Out Now daté du 6 octobre 2023

Les travailleurs de Kaiser, un des plus grands groupes privés de la santé aux États-Unis, étaient appelés à la grève au début du mois par leurs syndicats dans tout le pays. Les sujets de mécontentement sont nombreux : sous-effectif orchestré par la direction, augmentations de salaire en dessous de l’inflation, conditions de travail inacceptables. Une militante impliquée dans cette grève nous a déclaré : « Nos revendications sont nombreuses, mais notre plus grande motivation est tout simplement de disposer de ressources suffisantes pour fournir les soins de qualité en temps voulu que Kaiser prétend délivrer. » Comme en France, les soignants sont sur les rotules et leur meilleure arme, c’est la grève.

 

 


 

 

Le 4 octobre, 75 000 travailleurs du géant privé de la santé Kaiser aux États-Unis ont entamé une grève pour contester des pratiques de travail déloyales (unfair labor practice)1. La grève a duré trois jours et s’est achevée samedi 7 octobre à 6 heures du matin. Beaucoup considèrent cette grève comme historique, la plus grande grève des travailleurs de la santé de l’histoire des États-Unis. Elle a fait l’objet d’une large couverture médiatique, d’interviews de travailleurs de Kaiser sur les piquets de grève et de patients exprimant leur sympathie et leur accord avec les raisons de la grève. Après l’expérience du Covid et alors que des difficultés quotidiennes d’accès aux soins s’aggravent (chez Kaiser comme dans d’autres groupes d’établissements de santé), voir des travailleurs de la santé faire grève massivement est tout sauf anodin pour de nombreux Américains. Les soins sont un service qui relie les membres d’une société. Cette grève pourrait donc mobiliser non seulement les travailleurs du secteur de la santé, mais aussi les patients et le grand public.

Les travailleuses et travailleurs de Kaiser sont en grève dans tout le pays : Californie, Colorado, Washington, Oregon, Virginie et Washington DC. On compte des grévistes notamment parmi les infirmières diplômées, les techniciens des services d’urgence et de radiologie, les échographistes, les pneumologues, les techniciens de laboratoire et d’anesthésie, ainsi que parmi les soignants des services de santé mentale. La coalition de syndicats qui a appelé à la grève comprend le SEIU United Healthcare Workers West (SEIU-UHW) et dix autres syndicats.

Kaiser est un géant de la santé dont les tentacules s’étendent dans tout le pays. L’entreprise gère 39 hôpitaux et plus de 700 cabinets médicaux, avec plus de 300 000 employés, dont plus de 87 000 médecins et infirmières. La qualité des soins de Kaiser est très bien notée, les médecins sont salariés et ne sont pas payés à l’acte. Kaiser est un système de santé intégré qui organise et fournit tous les aspects des soins de santé de ses membres, y compris les soins préventifs, l’hospitalisation, les traitements médicaux et les services pharmaceutiques.

Cependant, Kaiser a de nombreux différends avec ses syndicats concernant les salaires, les embauches et d’autres questions. En outre, le conglomérat a fait l’objet de poursuites civiles et pénales à plusieurs reprises pour élimination inappropriée de dossiers ou rejet de certains patients. Au fil des ans, Kaiser s’est forgé une mauvaise réputation en limitant les visites chez le médecin, en allongeant les temps d’attente aux urgences et en réduisant l’accessibilité des services.

Au cours des six derniers mois, alors que la coalition des syndicats de Kaiser s’engageait dans des négociations concernant un accord national sur les conditions d’emploi et de rémunération, l’attitude de la direction à la table des négociations a été scandaleuse. Elle s’est présentée avec plusieurs jours de retard aux séances de négociation prévues. En outre, Kaiser a payé des médias pour qu’ils diffusent des informations dénigrant les travailleuses et travailleurs de la santé et a même envoyé des courriers électroniques à certains de ses employés pour les dissuader de faire grève. Les travailleuses et travailleurs du secteur de la santé ont été mis sous pression – on leur a dit que leur grève nuisait aux patients. Une telle accusation ne tient absolument pas compte des sacrifices qu’ils et elles ont consenti pendant la pandémie, ni de leur dévouement quotidien à fournir des soins de la meilleure qualité possible, malgré des conditions de travail déraisonnables.

Compte tenu de l’obstruction de Kaiser à la table des négociations, les responsables syndicaux ont jugé nécessaire d’appeler à la grève. Les 75 000 travailleurs du secteur de la santé qui ont débrayé dans tout le pays ont envoyé un message fort aux dirigeants de Kaiser et au-delà : sans nos travailleurs essentiels, les hôpitaux deviennent dysfonctionnels, voire dangereux. Cependant, les travailleurs de Kaiser sont confrontés à un mastodonte et, dans ces conditions, il est peu vraisemblable qu’une grève fixe de trois jours puisse exercer une pression suffisante. Dans le cadre d’une grève de trois jours, dont les dates sont fixées longtemps à l’avance, Kaiser dispose de suffisamment d’argent et de temps pour s’assurer que des cadres et des travailleurs intérimaires remplacent les grévistes. Un signe de plus que Kaiser se soucie bien peu de la qualité des soins.

La coalition syndicale affirme que Kaiser négocie de mauvaise foi et est coupable de nombreuses pratiques déloyales de travail. C’est exact. Cependant, face à l’obstruction de Kaiser, il ne semble pas que la coalition ait fait assez pour impliquer les travailleurs dans la lutte pour un accord national équitable. À mesure que la date du 4 octobre – le début programmé de la grève – se rapprochait, les travailleuses et travailleurs de Kayser n’étaient pas certains que la grève aurait bien lieu et, si c’était bien le cas, dans quelle mesure ils et elles y seraient impliquées. Très peu d’informations leur étaient données sur les revendications et sur l’état des négociations. Certains se demandaient si la grève serait annulée à la dernière minute, ce qui est une pratique courante de la part des directions syndicales. Lorsque les grévistes ne savent pas grand-chose de ce qu’il se passe en coulisses, il leur est très difficile de participer, de prendre des décisions et de construire l’organisation de la grève.

Par conséquent, à Oakland par exemple, de nombreux travailleurs sont restés chez eux pour respecter l’appel à la grève, et peu se sont déplacés sur le piquet. À la mi-journée, à Kaiser Oakland, l’un des principaux établissements de Californie du Nord, le nombre de travailleurs manifestant à l’extérieur de l’hôpital a atteint un maximum de 300, et les chiffres ont considérablement baissé dans l’après-midi. En outre, la grève n’a que peu été préparée, notamment pour en appeler aux patients ou aux habitants afin qu’ils manifestent un soutien actif sur les piquets de grève. Pourtant, il est évident que la plupart des gens éprouvent de la sympathie et soutiennent la lutte des travailleurs du secteur de la santé.

On ne sait pas exactement ce qui se passera après cette grève de trois jours. Si aucun accord n’est trouvé, la coalition syndicale menace de se remettre en grève en novembre. Il y a tant d’inconnues sur les négociations en coulisses qu’il est difficile de prédire la suite des événements et les résultats. Il semble malheureusement peu probable que les travailleurs jouent un rôle plus important dans cette nouvelle phase. Malgré tous les sacrifices qu’ils ont consentis pendant la pandémie et qu’ils continuent de faire aujourd’hui, il y a de fortes chances que cette direction « par le haut » de la grève de la part des responsables syndicaux aboutisse à un accord national bien éloigné de ce que veulent les travailleurs de Kayser, de ce dont ils ont besoin, de ce qu’ils et elles méritent.

 

 


 

 

1 NdT : Invoquer des pratiques de travail déloyales est tactique habituelle aux États-Unis pour justifier une grève. Les syndicats ne sont pas autorisés à faire grève quand ils le souhaitent et lorsque des négociations sont en cours, la grève est soumise à des règles supplémentaires. Les établissements de santé, par exemple, doivent donner un préavis de dix jours avant de se mettre en grève. Ici, les pratiques déloyales permettent de dénoncer le fait que la direction de Kaiser n’est pas de bonne foi dans les négociations et formule des offres déraisonnables compte tenu des bénéfices que l’entreprise réalise.