Du 30 novembre au 21 décembre, les conducteurs de cars de trois dépôts VFD [1], du Nord-Isère (Bourgoin-Jallieu, Pont-Évêque) et du Rhône (Vénissieux), ont fait grève pour des augmentations de salaire et de meilleures conditions de travail. Il n’y avait pas eu d’augmentation non-conventionnelle depuis 2006, mais les actionnaires se sont versés 3,5 millions d’euros en dividendes depuis le début de la pandémie.
Gérer la pénurie au moindre coût
En octobre, la direction des VFD a relevé de 4 % le taux horaire d’embauche. C’était un aveu que les salaires sont trop bas pour recruter. Mais les salariés déjà dans l’entreprise, eux, ont eu seulement 2 % d’augmentation.
Un conducteur qui roule pour les VFD depuis quelques années se retrouvait ainsi moins bien payé que son collègue pas encore dans l’entreprise. Face à la division patronale, les grévistes revendiquaient une augmentation générale de 8 %.
Le poison différentiel
Certains salariés étaient dans une situation plus particulière encore, suite à leur transfert aux VFD consécutive à la perte d’un appel d’offres par leur ancienne entreprise. Les conditions de transfert sont réglées par un accord de branche conclu pour l’interurbain [2] en juillet 2020. Il prévoit le maintien de la rémunération annuelle des salariés transférés, sans dire un mot du maintien de ce qui compose la rémunération. Les éléments variables [3] peuvent être ramenés au plancher de la convention collective, les éventuelles primes d’entreprise sont supprimées… et même le taux horaire peut diminuer. Mais une « prime différentielle » est versée chaque mois aux salariés transférés, avec une régularisation annuelle pour atteindre le niveau garanti [4].
La prime différentielle est une arme de division entre ceux qui la touchent et ceux qui ne la touchent pas, les nouveaux embauchés et, dans le cas présent, les anciens des VFD. Tous font pourtant les mêmes services ! Face à la division patronale, les grévistes revendiquaient également l’intégration de la prime différentielle dans le taux horaire.
Le rassemblement inter-entreprises du 10 décembre marque un temps fort dans la grève
La lutte chez VFD ressemble beaucoup aux autres grèves qui se multiplient dans les entreprises de transport depuis septembre 2021. Quoi de plus normal, dans cette situation, que les grévistes cherchent à se lier aux salariés d’autres entreprises, en butte aux mêmes problèmes ? De cette manière, ils participent à la construction d’un mouvement d’ensemble des travailleurs du transport, seul à même d’imposer aux patrons leurs revendications unificatrices.
Le 10 décembre, jour de grève dans le transport interurbain dans le cadre de négociations ordinaires sur les rémunérations conventionnelles, a permis une telle rencontre. À Vénissieux, devant le siège régional de la Fédération nationale des transports de voyageurs, le syndicat patronal, se sont rassemblés, outre les grévistes des VFD, des grévistes de Transdev Rhône-Alpes (TRA) qui avaient fait grève autour du 15 novembre pour revendiquer un taux horaire de 14 euros, et des grévistes de Keolis Lyon, la filiale qui exploite le réseau TCL (Transports en commun lyonnais), qui avaient, eux, fait trois jours de grève au mois de septembre pour exiger une augmentation de 200 euros. Ils avaient obtenu une prime de 480 euros versée sur quatre mois.
Les VFD obtiennent finalement l’intégration de la prime différentielle au taux horaire !
Après le 10 décembre, la grève des VFD se maintenait sur les trois dépôts du Nord-Isère et du Rhône mais ne s’étendait pas aux dépôts proches de Grenoble. La direction, gênée, a cherché à en sortir en acceptant l’intégration de la différentielle au taux horaire mais pas l’augmentation de 8 %.
Le directeur des VFD s’est peut-être dit qu’en cédant sur la différentielle, qui ne concerne qu’une dizaine de salariés dans une entreprise qui en compte plus de trois cents, il fracturerait le mouvement entre salariés transférés et anciens VFD. C’est la logique patronale de division. Il a obtenu l’arrêt de la grève mais les grévistes, eux, n’ont pas repris la tête basse, et ce qu’ils ont obtenu pourrait donner des idées à d’autres.
Car en obtenant l’intégration de la prime différentielle au taux horaire, ils ont montré comment il était possible de combattre la dégradation dont ils sont la cible lors des transferts d’une entreprise à l’autre. Ce n’est que par la lutte, en revendiquant l’intégration de toutes les primes au salaire de base, que les conducteurs pourront sortir de la jungle des primes qui caractérise le secteur et qui est mise à profit par le patronat pour peser sur les salaires.
20 janvier 2022, Bastien Thomas
(Article paru dans Convergences révolutionnaires no 143)
[1] Les Voies ferrées du Dauphiné sont l’ancienne régie de transport du département de l’Isère. La régie exploitait initialement un réseau ferré, d’où son nom. Elle est devenue société d’économie mixte en 2005, majoritairement détenue par le département qui a revendu ses parts en 2018 à un fonds de pension basé au Luxembourg nommé Cube et qui détient des parts de plusieurs entreprises de transport en Europe.
[2] Dans le monde des transports publics, on distingue l’urbain (les réseaux de transport des grandes agglomérations) de l’interurbain (par exemple, les services de cars départementaux ou les services scolaires à la campagne ou en lointaine banlieue). La distinction date du temps où l’interurbain renvoyait principalement à des activités de tourisme, mais avec l’évolution des services (passage aux services réguliers), les conditions de travail se ressemblent de plus en plus d’une branche à l’autre. Les conventions collectives restent toutefois différentes.
[3] On parle ici des primes d’amplitude, de coupures, etc.
[4] Derrière le maintien de la rémunération, les salaires sont en fait gelés car tant que le niveau garanti n’est pas atteint, toute augmentation de la rémunération (augmentation du taux horaire hors négociations annuelles obligatoires, avancement dans la grille d’ancienneté, intensification du travail générant plus d’éléments variables) est retranchée de la différentielle.