L’Assemblée nationale a adopté la loi Darmanin sur l’immigration, qui durcit notamment l’accès aux prestations sociales, allocations familiales et aides au logement. Mais qu’on ne s’y trompe pas, c’était déjà le parcours du combattant pour les étrangers qui souhaitent faire valoir leurs droits aux caisses d’allocations familiales (Caf). Le passage de la loi renforce encore l’insécurité des personnes immigrées dans notre pays qui craignent à tout moment de se voir retirer les droits qu’elles ont parfois mis du temps à obtenir.
Allocations familiales, aides au logement, prime d’activité, etc. sont conditionnés par le Code de la sécurité sociale. Parmi les différentes sections de ce droit, tout ce qui a trait aux populations étrangères est particulièrement complexe et est donc d’autant plus source d’erreur, d’interprétation, de méconnaissance pour son application. La complexité réside d’abord dans la diversité des titres de séjour : les personnes réfugiées, celles disposant d’un titre de séjour long ou temporaire, d’un récépissé de prolongation, etc. Chacun de ces titres ne donne pas accès à la même date d’ouverture de droits. Une personne reconnue réfugiée, par exemple, peut en effet prétendre au RSA sans attendre le délai de cinq années de présence sur le territoire normalement exigé. Mais c’est aussi la prise en compte des situations familiales des allocataires qui provoque beaucoup de problèmes. En effet, nombreux sont celles et ceux dont la compagne, le compagnon ou les enfants sont restés dans leur pays d’origine et qu’ils ne déclarent pas à la Caf, ou seulement au moment où ces derniers les rejoignent en France. Mais bien qu’à l’étranger, l’époux doit être pris en compte dans le calcul des droits de l’allocataire et sa déclaration tardive provoque bien souvent des dettes envers la Caf.
Pour éviter ces erreurs de déclaration et pour permettre un meilleur accès aux droits des personnes étrangères, il faudrait une meilleure communication sur la législation qui les encadre. La réalité est que les agents qui informent les allocataires sont souvent peu formés et ne transmettent parfois que des informations partielles à des personnes qui bien souvent maîtrisent peu le français et encore moins le français administratif. Heureusement, des associations et travailleurs sociaux les accompagnent dans leurs démarches, mais face à la complexité de la législation, l’incompréhension perdure en dehors même de la barrière de la langue. Des « services partenaires » existent au sein des Caf pour informer ces travailleurs sociaux et leur permettre de joindre l’institution. Mais la demande est grande, le sous-effectif règne et bien souvent ces échanges ne viennent résoudre les problèmes qu’après coup. Les personnes immigrées s’entraident alors, en fonction de leur ancienneté d’arrivée, parfois de façon monnayée. Bien sûr, cela ne résout pas tout et amène surtout les allocataires à entendre différents sons de cloche vis-à-vis de leurs droits potentiels ou réels. Des bouts de ficelles et des pansements donc, alors que c’est bien l’État qui devrait permettre à tous le même accès aux droits.
En dehors d’un système complexe et qui écarte les étrangers des prestations sociales, les lois immigrations sont profondément racistes. La nouvelle loi Darmanin instaure en effet que les allocations familiales et les aides au logement ne seront attribuées qu’aux personnes résidant de manière régulière en France depuis cinq ans. Un grave recul pour celles et ceux qui en bénéficient déjà à l’heure actuelle sans remplir cette condition et qui se voient donc retirer leur droit. Avant même le vote de la loi, l’inquiétude était présente chez ces personnes quand elles se présentaient à l’accueil des Caf, elles qui n’ont parfois que ces aides pour payer leur loyer et subvenir aux besoins de leurs enfants. Cependant cette condition de séjour est déjà appliquée depuis 2016 pour l’accès au RSA et à la prime d’activité. Cela signifie que des personnes qui vivent et travaillent en France depuis moins de cinq ans ne peuvent pas bénéficier des droits pour lesquels elles cotisent et paient des taxes. Au quotidien, cela signifie aussi qu’il faut parvenir à fournir tous les papiers qui attestent d’une présence régulière depuis cinq ans sans interruption. Le moindre document manquant, récépissé de prolongation pour un mois par exemple, et la condition d’ouverture de droits n’est pas remplie. Quand on connaît le coût et les délais d’obtention des titres de séjour auprès des préfectures, on comprend la difficulté. À l’heure actuelle, nombreuses sont les personnes étrangères à qui l’on réclame donc régulièrement pour l’avancée de leur dossier de nouveaux documents qui prennent pour certains des mois à arriver. Cette sollicitation récurrente peut être source d’angoisse, en tout cas d’instabilité et d’incertitude. Leur dossier sera-t-il un jour enfin traité ? Et même quand les allocations sont accordées, il arrive qu’elles soient retirées parce qu’un autre document est finalement absent ou parce qu’une nouvelle loi vient de passer…
La loi Darmanin s’attaque extrêmement violemment aux droits des personnes immigrées, mais elle ne vient finalement que renforcer une réalité déjà bien crasse. Sur le terrain, on ne peut que constater que les droits existants sont déjà limités et qu’en plus c’est un véritable parcours du combattant pour pouvoir les faire reconnaître. Un parcours durant lequel les étrangers font face au racisme systémique et au harcèlement réservé aux plus précaires, sans cesse contrôlés et soupçonnés d’être des assistés et des fraudeurs. Le peu d’espace de solidarité que proposent les associations craque déjà de partout. Il est grand temps de renverser ce système raciste qui met les travailleurs en concurrence.
Anne Bodigel