Avec la deuxième vague d’inondations qui a submergé une partie du Pas-de-Calais, autour de Saint-Omer, impossible cette fois pour le gouvernement ou les élus locaux d’entonner leur habituel refrain du « on ne pouvait pas prévoir ». Pourtant, malgré des airs de prendre la chose au sérieux, avec la visite le 9 janvier du fraichement désigné Premier ministre Gabriel Attal, rien n’est fait, ou presque, pour agir. Que ce soit dans l’urgence, où l’essentiel de la survie repose sur les initiatives des habitants eux-mêmes et de leurs soutiens. Ou que ce soit à long terme, où l’essentiel sera pour les pouvoirs publics de tourner la page et pour les assureurs de débourser le moins possible, voire d’augmenter leurs tarifs sur le dos des sinistrés.
« On ne pouvait pas prévoir »… sauf depuis des années !
2016, la lutte contre la « loi travail » bat son plein. À Arjowiggins, usine de papeterie à Wizernes, au sud de Saint-Omer, les grévistes tiennent un piquet contre la fermeture de l’usine. Sur la route du retour, Mamounette1 doit s’arrêter en chemin, la route est inondée par une importante montée des eaux. C’est d’ailleurs plusieurs quartiers de la ville qui sont en train d’être inondés. Avec Nanouchka1, elles se décident à passer à la mairie pour voir ce qu’il en est. Les services techniques de la ville et les agents municipaux sont débordés. Ni une, ni deux, elles s’organisent alors pour faire le tour de la commune, utilisant la sono de la CGT pour passer des annonces aux habitants, signaler comment trouver sacs de sable et parpaings pour tenter, faute de mieux, de limiter la montée des eaux.
« On ne pouvait pas prévoir »… sauf d’après les lanceurs d’alerte
Dans la foulée, les deux militantes du mouvement en cours décident d’en parler dans le cadre des assemblées des « Nuits debout », qui rassemblaient alors des milliers de personnes le soir, pour occuper les places et lutter contre le gouvernement de François Hollande. La commission « logement » de Nuits debout Saint-Omer rédige alors un rapport complet sur l’inondation à Wizernes et la manière dont ils se sont organisés pour y faire face. Toutes les infos sont transmises à la commune et aux collectivités locales. En cause : le risque inondation de toute cette partie du Pas-de-Calais : 450 000 habitants de Saint-Omer et des environs sont concernés. Pas une petite affaire ! Même le Giec et ses projections prévoyaient que d’ici 2050, Saint-Omer pourrait disparaître2. Depuis, on est passé à 2040. Et la catastrophe dénoncée par les militantes dès 2016 vient de connaître ses deux premiers épisodes dramatiques fin 2023 et début 2024.
« On ne pouvait pas prévoir »… puisqu’ils voulaient faire taire
Deuxième épisode de la lutte, la fondation d’un collectif local « Extinction Rebellion » sur la commune avec comme axe principal d’informer et de prévenir du danger d’inondations importantes. Depuis 2020, d’actions symboliques en conférences locales, en passant par l’interpellation des élus locaux ou des candidats aux élections législatives, ces militantes n’ont eu de cesse d’alerter pour justement prévenir la catastrophe. Aucun retour, aucune inflexion dans les politiques mises en œuvre. Pire, la répression s’est abattue contre ces activistes avec des plaintes déposées contre X et des menaces de poursuites judiciaires par un certain nombre d’élus qui ne voulaient surtout pas entendre parler du problème.
Ce refrain du « on ne pouvait pas prévoir » est donc d’une indignité totale. Car les causes et les risques sont connus depuis longtemps. Mais cela n’a pas empêché de délivrer des permis de construire en zone inondable. Cela n’a pas empêché l’État de déléguer depuis 2014 la gestion du réseau des canaux anti-inondations aux collectivités locales sans l’accompagner de moyens suffisants. Et rien non plus n’a été fait entre les deux dernières vagues d’inondations de 2023 et 2024. Les canaux n’ont pas été nettoyés et les pompes d’évacuation des eaux sont à peine suffisantes. Car la priorité pour les pouvoirs publics, c’étaient les décorations de Noël et les patinoires municipales… Quant à l’aide aux habitants, tout le monde se refile la patate chaude pour ne rien faire, se défaussant sur l’échelon étatique du dessus.
La révolte non plus, ils ne pourront pas la prévoir !
Mais cette deuxième vague d’inondations amène cette fois avec elle un profond sentiment de colère et de rage contre tous ces incompétents et décisionnaires incapables. D’ores et déjà, les militants locaux, les associations et d’autres se sont regroupés dans différents collectifs, dont l’un intitulé « Soulèvement des Eaux de France » en référence aux « Soulèvements de la Terre » et à la révolte qu’ils incarnaient.
Car même si la vie quotidienne a soudainement basculé pour des milliers de personnes, c’est bien en ne comptant que sur elle-même, son organisation collective et sa mobilisation que la population finira par sortir la tête de l’eau. Dans tous les sens du terme.
Correspondants
1 Pseudonyme.
2 Voir les cartes de Climate Central, publiées entre autres dans La Voix du Nord en octobre 2019.